Les pratiques traditionnelles malgaches favorisant l’exploitation des enfants



Par Fanja Razafimahatratra

C’est comme un cri sans écho. Les organisations de la société civile malgache œuvrant pour la défense des droits de l’Homme accusent certaines pratiques traditionnelles d’exposer des enfants, surtout les jeunes filles, à des risques d’exploitation ou de prostitution.

Le mariage précoce est une de ces pratiques culturelles encore très répandue à Madagascar. Cette pratique met non seulement une fin abrupte à l’enfance des filles et les sépare de leurs familles mais elle les oblige aussi à abandonner leur scolarité pour les enfermer dans une vie faite d’exploitation sexuelle et de travaux ménagers.

Autrefois, la tradition connue comme « Trano Ngaona » encourageait les filles à être indépendantes avant leur mariage. Aujourd’hui, cette tradition expose de plus en plus de jeunes filles à la prostitution car les ménages sont de plus en plus pauvres depuis le début de la crise et la priorité pour elles est de trouver des revenus coûte que coûte. Les étrangers essaient de profiter de la vulnérabilité des familles, ainsi que des jeunes filles, en leur faisant des propositions alléchantes.

Une autre pratique, le « tsenan’ampela », ou marché des filles, se tient en parallèle au marché des zébus dans la tribu Bara qui vit dans le sud de la Grande Ile. Des jeunes filles sont achetées comme des zébus par des clients.

Dans certaines tribus malgaches, les parents ont le pouvoir de marier leurs enfants avec ou sans leur consentement, c’est ce qu’on appelle le “valy fofo”. Dans la tribu Masikoro, il est de coutume qu’à la puberté, les jeunes filles vivent dans des cases séparées de leurs parents. Il s’agit d’une période transitoire entre l’enfance et l’âge adulte et où la femme est censée être libérée pour assurer la prise en main de sa destinée et avoir une meilleure connaissance de sa vie de femme. En réalité, elle est livrée à elle-même et est exposée à de nombreux risques : mariage précoce, grossesse et accouchement prématuré avec des complications pouvant lui être fatales.

Ce sont là des pratiques jugées ahurissantes par les défenseurs des droits de l’Homme à Madagascar. Norotiana Jeannoda, présidente du Syndicat des travailleurs sociaux, confirme que « les pratiques traditionnelles alimentent la violence à l’égard de la femme et des fillettes. Le pire, c’est que rien n’a été fait jusqu’ici pour punir les individus impliqués dans l’exploitation des enfants qui sont les victimes grandissantes de ces traditions», souligne-t-elle.

L’Etat malgache semble ne plus maîtriser la situation. Nadia Rakotomalala, chef du service de vulgarisation judiciaire au sein du ministère de la Justice souligne «qu’il est difficile de pénaliser les délinquants car les cas ne sont pas toujours rapportés aux autorités compétentes. La population manque aussi d’information et de sensibilisation sur ces sujets. Et la situation de crise politique à Madagascar n’a pas arrangé les choses. Les financements alloués pour lutter contre ces exploitations ont été revus à la baisse quand ils n’ont pas été supprimés carrément», explique-t-elle

La communauté internationale pointe elle aussi du doigt l’inexistence de sanctions contre les délinquants. « L’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales est omniprésente et trop souvent justifiée par la pauvreté. La recrudescence du phénomène, en particulier depuis 2009, soulignée par tous les intervenants rencontrés, est alarmante. Le nombre de cas rapportés est faible et ils sont ensuite très rarement suivis par de lourdes sanctions telles que prévues par la loi malgache. » Cette déclaration émane de Najat Maalla M’Jid, rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la vente des enfants, la prostitution d’enfants et la pornographie impliquant des enfants. Celle-ci était en mission à Madagascar en juillet dernier.

Elle a exprimé de profondes inquiétudes quant à la banalisation de cette exploitation sexuelle des enfants et à l’impunité dont bénéficient leurs auteurs. « Il faut appliquer des sanctions exemplaires pour atténuer la banalisation de l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales à Madagascar », a-t-elle martelé lors de son passage.

Selon un rapport de l’UNFPA sur la violence à Madagascar, la moitié des femmes, actuellement âgées entre 20 à 24 ans ont été mariées avant l’âge de 18 ans. L’UNFPA a même tiré la sonnette d’alarme en publiant des chiffres alarmants. Si nous n’agissons pas, ce sont plus de 767 000 filles nées entre 2005 et 2010 qui seront mariées de force avant leur majorité en 2030.

Les organisations œuvrant pour la promotion des droits de l’Homme lance un vibrant appel aux Malgaches pour qu’ils éliminent ces pratiques culturelles qui vont à l’encontre du bien-être des enfants. Nicholas Alipui, directeur des programmes de l’UNICEF à Madagascar, estime qu’il faut sensibiliser la communauté de base. « Rien n’a plus d’effet qu’une communauté qui s’aperçoit elle-même des souffrances qu’elle inflige à ses propres enfants, et qui décide collectivement d’y mettre fin».

A l’approche de 2015, délai fixé par les Nations Unies pour l’évaluation des Objectifs du Millénaire pour le Développement et aussi année butoir pour l’application des dispositions du Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement, Madagascar doit faire beaucoup d’efforts pour mettre un terme à ces traditions qui minent les droits des femmes et des enfants.

Fanja Razafimahatratra est journaliste en freelance à Madagascar. Cet article du service de commentaires et d’opinion de Gender Links, fait partie de la campagne des 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre.

Posted by on Jan 11 2014. Filed under Monde. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0. You can leave a response or trackback to this entry

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