Au moins un tiers de Mauriciennes candidates aux générales: une suggestion qui divise



Par Laura Samoisy

Maurice: Il est loin le temps où le droit de vote était interdit à la femme. Si cette tendance a été fort heureusement renversée dans la plupart des pays et que les femmes ont autant le droit de voter que les hommes, en revanche, ces derniers leur concèdent très peu en termes de tickets électoraux.

D’ailleurs, l’édition 2014 de la Carte des Femmes en politique pointe du doigt huit pays qui n’ont aucune femme au gouvernement. Il s’agit du Liban, de l’Arabie Saoudite (région arabe), du Pakistan, du Brunéï Darussalam (Asie), de Saint-Marin, de la Bosnie-Herzégovine (Europe) et des Iles-Salomon et Vanuatu (Pacifique).

Alors qu’au classement mondial de la représentation de la femme en politique, le Nicaragua se retrouve en tête d’affiche, suivi de la Suède, de la Finlande, de la France, du Cape Verde et de la Norvège. Maurice quant à elle, partage la 77ème place avec la Chine et la Thaïlande.

L’engagement politique et la mise en place de stratégies pour faire de la place aux femmes sont des préalables indispensables pour faire avancer la représentation des femmes en politique. Conscient de ce fait, le Premier ministre mauricien, Navin Ramgoolam, a récemment présenté un Livre blanc sur la réforme électorale.

Ainsi au chapitre dix consacré aux différentes propositions de la réforme électorale de ce document intitulé Renewing Democracy Electoral Reform – Modernising the Electoral System, la représentation féminine en politique retient l’attention. Y est prôné un système qui encourage la participation des femmes à la vie politique et leur présence accrue au Parlement. La formule proposée en faveur de l’égalité du genre en politique que le Premier ministre nomme une gender neutral formula vise à obtenir au moins 30% de femmes parlementaires.

Pour être plus précis, voyons ce que dit ce document: il y est stipulé qu’au moins un tiers sur le nombre total de candidats dans chaque circonscription électorale doit être représenté par l’un des deux sexes; que chaque parti politique assure une représentation moyenne de 33% des deux sexes sur leurs listes; qu’ils alignent au moins une personne de sexe différent sur une liste de trois candidats (soit un homme et deux femmes ou une femme et deux hommes) entre autres.

Il faut dire et c’est tout à son honneur, que le Premier ministre avait donné un aperçu de ses intentions déjà en 2011 à travers son ministre des Administrations régionales, Hervé Aimé, en amendant la Local Government Act. Amendement stipulant que chaque arrondissement doit être représenté par au moins un élément féminin aux élections des collectivités locales.

Une mesure qui a porté ses fruits depuis. Le Baromètre 2013 de la SADC de Gender Links qui fait un état des lieux de l’égalité du genre à Maurice et dans la région, attribue d’ailleurs la hausse considérable des élues mauriciennes aux élections des collectivités locales à cet amendement, le nombre d’élues étant passé de 6.4% à 26%. Du coup, c’est un résultat qui a fait Maurice prendre les devants sur le Zimbabwe qui ne compte que 19% de femmes au sein de ses collectivités locales et sur la Zambie qui n’en compte que 6%.

Le bât blessait au niveau des parlementaires et avec ce Livre blanc sur la réforme électorale, le Premier ministre souhaite combler l’écart qui fait que la parité en politique soit toujours à la traîne. Malheureusement, cette formule recommandée dans le Livre blanc et pourtant porteuse de progrès, est toutefois loin de faire l’unanimité auprès des femmes.

Dorine Chukowry, la première Lord-maire que l’île ait connu dans son histoire, livre son point de vue. Elle accueille favorablement cette recommandation parce que «c’est toujours un pas en avant car actuellement on ne compte que 20% de femmes au Parlement mauricien. Mais il reste du chemin à faire pour atteindre la parité. » D’autant, rappelle-t-elle, que la femme représente 52% de la population. Elle précise toutefois qu’il faut encourager les femmes à se tourner davantage vers la politique. « La femme a toutes les capacités pour diriger un pays. Il ne faut pas croire que la politique est réservée aux hommes et que c’est à eux d’occuper les plus hautes fonctions de l’Etat. Pour qu’il y ait une représentation égale entre hommes et femmes en politique, il faut encourager les femmes à s’engager. Pour ce faire, il faut avant tout briser toutes les idées reçues entourant l’engagement féminin en politique. On dit que c’est malsain, que c’est sale, qu’une femme serait mal vue si elle s’aventurait dans ce domaine. Or, s’engager en politique signifie travailler pour faire avancer son pays », précise Dorine Chukowry.

Conscientes de la chose, depuis plusieurs années, des organisations d’activistes du genre comme Gender Links et Women in Politics assurent des formations justement pour faire exploser ces idées reçues et elles réussissent. C’est ailleurs que la situation bloque.

Lindsay Collen du Muvman Liberasyon Fam et du parti Lalit, estime que la moyenne de 30% n’a pas sa raison d’être car il ne représente pas l’émancipation de la femme dans la vraie vie. « Cette formule qui est une forme de quota est loin de représenter l’émancipation de la femme alors que c’est ce que l’on veut nous faire croire à travers ce chiffre que l’on nous impose. Je constate que dans les dix premiers pays au monde où la représentation féminine en politique est élevée, neuf n’ont pas de quota. Pourquoi alors Maurice doit-il mettre en place un système pareil ? Quel message veut-on faire passer ? » Elle poursuit en disant que cette mesure est certes un indicateur de changement mais qu’il est loin de faire honneur aux femmes, encore moins de représenter la parité. Et pour inciter les femmes à faire de la politique active, Lindsay Collen est d’avis que cette démarche repose sur une bonne stratégie. « Il ne suffit pas de dire aux femmes de s’aligner au sein de tel ou tel parti, de défendre telle et telle cause en politique. Il faut un programme politique bien établi en faveur de la femme. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra faire avancer les choses », avance notre interlocutrice.

Jane Ragoo, syndicaliste, ne digère pas ce quota du simple fait que ce sont les hommes qui ont pris une décision concernant les femmes. « A une époque pareille, je trouve honteux que ce soient encore les hommes qui prennent des décisions importantes par rapport à des sujets qui touchent principalement les femmes», dit-elle d’un ton ferme. Elle se dit « horrifiée » par le pourcentage avancé dans ce rapport. « L’idéal aurait été un quota de 50%. Car hommes et femmes sont égaux. Il n’est pas normal qu’à l’heure où nous parlons d’égalité du genre, où les femmes représentent 50% de la population, le gouvernement vienne avec une telle proposition. Ce n’est que du vent. »

Toutefois, pour encourager les femmes à faire de la politique, Jane Ragoo est d’avis que certains systèmes propres à notre culture locale soient revus. « Dans certains rassemblements politiques, les politiciens doivent grimper sur des camions ou autres véhicules afin de prendre la parole pour s’adresser à leurs mandants. C’est un système que les partis politiques doivent abolir. Car il est inconvenant de demander aux femmes de faire de même. Et rien qu’à l’idée de penser qu’elles devront un jour ou l’autre monter sur de gros engins et prendre la parole, cela les freine. C’est loin d’encourager les femmes à faire de la politique. Tout comme ce système où il faut dénigrer l’adversaire, exposer sa vie privée lors des rassemblements publics. Il faut encourager les partis à faire de la politique sainement, à poser les vraies questions, à lancer de vrais débats et non pas à se rendre ridicules et en humiliant leurs adversaires. »

La syndicaliste pousse le débat sur la représentation féminine encore plus loin. « Certains firmes privées interdisent à leurs employés, hommes comme femmes à se lancer dans la politique. Cette clause est même mentionnée dans certains contrats d’embauche. Même son de cloche au sein de la Fonction publique. De ce fait, on empêche carrément les hommes, ainsi que les femmes à embrasser une carrière politique. A mon sens, c’est anticonstitutionnel. Par exemple, une fonctionnaire ne peut s’engager en politique. Pour que cela soit possible, elle doit démissionner. On aurait pu penser à une manière beaucoup plus intelligente qui permettrait aux fonctionnaires de faire de la politique. On aurait pu par exemple, permettre aux fonctionnaires intéressés(es) par la question, de prendre un congé sans solde, le temps que leur engagement se termine et à la fin de celui-ci, qu’ils puissent réintégrer leurs postes. »

Là où toutes se rejoignent, c’est qu’on est loin du compte de la parité réclamée depuis 2008 par le Protocole de la SADC sur le
Genre et le Développement qui invite les Etats membres à prendre des mesures et à adopter des stratégies spécifiques dans tous les processus électoraux afin d’assurer d’ici 2015 un minimum de 50% de représentation féminine. Mais même si Maurice n’est pas signataire de cet instrument régional, le pays applique déjà bon nombre de ses dispositions, pour ne pas dire la plupart, sauf en matière de représentation féminine en politique.

Quoiqu’il en soit, si la société mauricienne et les partis politiques ne nient pas aux femmes la possibilité de s’engager activement, généralement, une fois élus, les chefs de gouvernement, majoritairement des hommes à travers le monde, s’attendent à ce que leurs élues fassent de la politique dans un sens spécifiquement féminin en leur attribuant des portefeuilles ministériels bien précis. Comme par exemple les ministères de l’Egalité du Genre ou de la Sécurité sociale. Et ce, en raison de leur apparence ou de leur nature supposément plus empathique, douce ou coopérative et de leur féminité.

Un stéréotype de plus en politique qu’il faudrait éliminer une fois pour toute.

Laura Samoisy est journaliste à Maurice. Cet article fait partie du service d’information de Gender Links qui apporte des perspectives nouvelles à l’actualité quotidienne.

Posted by on Apr 4 2014. Filed under Actualités. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0. You can leave a response or trackback to this entry

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