L’accouchement à Madagascar: entre sages-femmes et matrones, le cœur des Malgaches balance



Par Volana Rasoanirainy

Le taux de mortalité maternelle pendant ou post-accouchement est élevé à Madagascar et inquiète les agences onusiennes concernées par la santé et la population. Cet état tient grandement au fait qu’au lieu d’être suivies par des sages-femmes et du personnel médical formé, les Malgaches qui s’apprêtent à accoucher se tournent davantage vers les matrones traditionnelles. Dans certaines régions de la Grande Ile, un accord a été conclu entre les sages-femmes et les matrones pour diriger les femmes sur le point d’accoucher vers des centres de santé de base afin de minimiser leurs risques de décès. Décryptage.

La situation a de quoi inquiéter. Sur les 800 000 à un million d’accouchements annuels ayant lieu à Madagascar, 10 femmes meurent chaque jour pendant ou à la suite de complications après l’accouchement. D’autre part, 80% de ces accouchements sont suivis par des matrones, certaines ayant bénéficié d’une formation médicale adéquate et d’autres pas. C’est le constat accablant fait en janvier 2013 par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Selon le Fonds des Nations Unies pour la Population, les statistiques pour Madagascar sont encore plus lourdes. Un taux de mortalité maternelle de 498 femmes pour 100 000 accouchements (chiffre émanant de l’Enquête Démographique et de Santé); seuls 35% des accouchements étant inscrits auprès des centres de santé de base (Annuaire des Services Statistiques Sanitaires de 2011); 44% des femmes enceintes respectent le suivi médical mais 80% d’entre elles ont recours à la médecine traditionnelle, ce qui conforte les chiffres de l’OMS.

Depuis 2001, le pouvoir en place avait accepté d’intégrer la médecine traditionnelle dans la politique de la santé publique, ce qui sous-entend une étroite collaboration entre la médecine traditionnelle et la médecine allopathique. D’ailleurs, 1900 personnes sont inscrites dans 13 associations de praticiens traditionnels et de matrones. Une Convention-cadre est sortie par décret portant n°2007-805 pour asseoir cette collaboration, en vue de réduire le taux de mortalité mère-enfant.

En 1995 déjà, l’association des sages-femmes de Madagascar s’était fixée comme objectif de prendre en charge les femmes enceintes et celles qui accouchent en tenant compte de toutes les «précautions» nécessaires pour qu’elles se sentent en sécurité et soient bien accueillies et bien traitées. Mais l’existence de matrones semble les avoir prises de court parce que ces dernières travaillent essentiellement au milieu des femmes loin des centres de santé qui sont peu nombreux sur le territoire malgache car ils sont surtout implantés en zones rurales et zones enclavées.

Selon une convention tacite entre le corps médical et le corps des matrones, il est dit que les matrones ne doivent accueillir que les femmes qui vont accoucher et qui habitent à plus de 5kms d’un centre de santé, si le besoin se fait sentir. Il y a aussi le fait que certaines sages-femmes refusent de recevoir de nuit les femmes qui vont accoucher « à cause de l‘insécurité », avancent-elles. Ce qui explique que les femmes préfèrent recourir aux matrones qui vivent dans le même village qu’elles au lieu de se tourner vers les sages femmes.

Dans la commune de Betraka, située dans le district de Manakara, lui-même dans la région de Vatovavy Fitovinany au sud-est de la Grande Ile, il n’y a eu aucun décès maternel en deux ans, suite à cette concertation entre les deux entités précitées. Le maire de la commune a également décidé que les dix fokontany ou communautés de base doivent avoir des infrastructures au nom de chaque fokontany dans l’enceinte de l’hôpital. Dix salles/chambres d’attente accueillent désormais les femmes enceintes, autrefois réticentes à se rendre dans les centres de santé de base, après avoir été suivies par les matrones formées au préalable, dans leur fokontany respectif, quelques jours précédent l’accouchement. Ces matrones persuadent les femmes enceintes de se rendre à l’hôpital au moment venu et les assistent jusqu’à la prise en main de l’accouchement effectif par le personnel médical de l’hôpital.

Néanmoins, les femmes enceintes doivent effectuer des visites prénatales mensuelles, toujours sur les conseils, voire le soutien de la matrone du fokontany. L’hôpital de Manakara enregistre approximativement 20 accouchements par mois. Les sages-femmes ont décidé de travailler de concert avec les matrones et ainsi être plus productives. Elles ont aussi décidé que les matrones peuvent assister aux accouchements. En parallèle, les autorités locales ont décrété que tout accouchement ayant lieu hors du centre de santé sera pénalisé par une amende de 100.000 Ariary* qui doit être réglée par le fokontany n’ayant pas joué le jeu.

A Tamatave, ville située dans la région d’Atsinanana dans l’est de Madagascar, ce n’est pas du tout la même chose. Les femmes qui ont accouché se tournent vers les matrones, même si elles doivent payer 150.000 Ariary pour la procédure. Elles invoquent comme raison le fait que l’accueil soit insatisfaisant à l’hôpital et qu’elles doivent rester plusieurs jours dans le centre pour le suivi postnatal et les soins au bébé alors que la matrone ne les retient que le temps de s’occuper du nouveau-né et de compléter les papiers administratifs à soumettre au service médical et administratif.

Au centre de santé de base (CSB) d’Analakinina niveau II à Tamatave, là où il y a du personnel médical formé, rien ne va. Et pourtant, le centre compte quatre sages-femmes et deux médecins, plus trois stagiaires. Des 400 à 500 consultations médicales mensuelles dont 200 consultations prénatales qui y sont effectuées, le centre n’enregistre que 11 accouchements par mois. Et pour cause, il y a de nombreuses matrones vivant dans la région. De plus, en matière d’équipements pour l’accouchement, le centre de santé de base n’a que deux pinces et une paire de ciseaux. Une seule salle sert à la fois aux soins et à l’accouchement.

L’accouchement est gratuit au CSB et les femmes ne sont retenues que quatre à six heures après accouchement, sauf en cas de complications post-natales. Mais les accouchements ont le plus souvent lieu la nuit et les sages-femmes ne sortent pas de chez elles tandis que les matrones accueillent ces femmes qui vont accoucher à bras ouverts et contre paiement de 100.000 Ariary par accouchement.

En tous cas, deux ateliers de travail à Fianarantsoa, province située au sud de la capitale Antananarivo et à Tamatave, ont permis d’unir les voix discordantes et de convaincre tout un chacun que la santé de la mère et celle de l’enfant passent avant tout. Il a été précisé que les sages femmes et les matrones doivent collaborer tant il est évident qu’elles sont indispensables pour convaincre les femmes enceintes à se rendre dans les centres de santé de base pour accoucher.

L’article 26 du Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement, signé et ratifié par Madagascar, demande aux Etats membres de réduire le ratio de mortalité maternelle par 75% d’ici 2015. Il est clair, au gré des décisions susmentionnées, que malgré le fait que Madagascar ne soit pas encore sortie de la crise, la Haute Autorité de la Transition veut veiller à ce que le pays respecte les engagements pris et réduire de façon significative le taux de mortalité maternelle pendant ou après l’accouchement.

* 100 000 Ariary : 1 euro vaut 2 200 Ariary (Décembre 2012)

Volana Rasoanirainy est journaliste à Madagascar. Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.

 

Posted by on Feb 25 2013. Filed under Monde. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0. You can leave a response or trackback to this entry

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