Le harcèlement sexuel: une sombre réalité mauricienne malgré les lois en vigueur



Par Laura Samoisy

A chaque fois qu’un cas de violence sexuelle à l’égard d’une femme est rapporté, la tendance à Maurice comme ailleurs, est de blâmer cette femme et de trouver des excuses à son agresseur. D’ailleurs, c’est une des raisons pour lesquelles les victimes sont peu nombreuses à porter plainte à la police car elles craignent de se voir davantage salies. Et on peut les comprendre quelque part car nombreux sont ceux qui croient dur comme fer que les femmes s’habillent rien que pour provoquer les hommes, pour attirer l’attention sur une partie de leur anatomie.

Le plus étonnant et choquant, c’est que certaines Mauriciennes partagent cet avis et disent que les victimes ne peuvent s’en prendre qu’à elles-mêmes si elles sont victimes de viol ou de harcèlement sexuel. Rien ne doit pourtant justifier ces comportements. Le harcèlement sexuel à Maurice est courant dans la rue, dans les autobus ou encore sur le lieu de travail alors que ce comportement révoltant aurait dû susciter l’indignation générale. Un fait confirmé par l’étude War@Home de Gender Links pour Maurice. Sur les 679 Mauriciennes représentatives de la population, 6.3% ont subi du harcèlement sexuel sur leur lieu de travail au cours de leur existence. La majorité des cas concernait des caresses non désirées et des propos déplacés à caractère sexuel à leur intention. Et ces attaques parfois jugées banales laissent des séquelles sur les victimes qui se renferment sur elles et ne veulent plus sortir. Parfois, elles doivent recourir à un psychologue. Les harceleurs, eux, continuent leur sale besogne sans jamais être inquiétés.

Pour le harceleur, il n’y a pas de profil type de femmes. Sur les 20 femmes âgées de 17 à 52 ans que j’ai interrogées, toutes ont affirmé avoir fait l’objet de harcèlement sexuel. Et pas qu’une fois ! Six jeunes filles de 17 à 22 ans ont avoué avoir été tripotées dans un autobus sans toutefois avoir le courage de rendre la chose publique ou de porter plainte à la police.

« C’est très embarrassant de vivre une telle situation. De sentir une main baladeuse sur soi et de subir sans pouvoir bouger. C’est surtout par peur de représailles que je n’ai pas osé agir. Car je pense bien que ceux qui s’amusent à tripoter les filles ou les femmes dans les autobus sont des pervers sexuels capables de tout », raconte une étudiante de l’Université de Maurice sous le couvert de l’anonymat. Briser le silence alors que le harceleur est en pleine action est rare. La femme qui le subit éprouve dans bien des cas, de la culpabilité et de la honte vis-à-vis de son harceleur qui la domine en prenant le dessus. Abattue et blessée dans sa dignité de femme, celle-ci refuse de faire le trajet en autobus toute seule.

D’autres trouvent une astuce, à l’instar de Véronique, une mère de famille de 34 ans. « J’ai eu ma dose de harcèlement sexuel dans les autobus. Et les harceleurs sont de tous âges. Et vu que je viens d’une famille modeste, je ne peux me permettre d’acheter une voiture pour échapper au pelotage. J’ai réfléchi et j’ai trouvé un moyen de voyager en toute sécurité depuis bientôt deux ans. En rentrant dans l’autobus, je m’assois toujours à côté d’une femme. Ou si je suis assise seule sur un siège et qu’un homme vient s’asseoir à côté de moi durant de trajet, je me lève et je m’assois ailleurs. Je préfère agir ainsi car comme je suis timide, je n’aurai jamais le courage de dénoncer mon harceleur et le faire prendre sur le fait», avance-t-elle.

Combien sont-elles, ces femmes obligées de prendre un transport en commun pour se rendre au travail ? Des milliers sans doute. En tous cas, 600 000 Mauriciens prennent l’autobus chaque jour pour se rendre au travail ou à l’école. Et parmi ce nombre, elles sont nombreuses à se faire harceler. Le ministère de l’Egalité des genres s’en est rendu compte car en 2010, il a lancé une campagne de sensibilisation ayant pour thème « Rompre le silence sur le harcèlement sexuel dans les transports publics».

Dans les rues, c’est une réalité toute aussi répugnante qui se dessine. Cela va du sifflement aux commentaires désobligeants, en passant par des propositions indécentes ou encore l’exhibition de leur sexe, quand ce n’est pas des tentatives d’agressions sexuelles, les femmes en voient de toutes les couleurs. Pooshpa raconte comment elle a évité un viol de justesse. Cette femme de 37 ans et mère de famille, habite le nord de l’ile. Elle était jusqu’à tout récemment employée dans un centre d’appels de la capitale.

« Depuis quelques temps, lorsque je quittais le bureau après le travail le samedi après-midi vers les 17h, j’avais remarqué que deux jeunes me suivaient de loin jusqu’à la gare où je prenais l’autobus pour rentrer à la maison. Au début, je n’ai pas fait grand cas d’eux. Je croyais que c’était juste deux jeunes rentrant de leurs leçons particulières. J’ai dû les voir à quatre reprises. La cinquième fois, cela a tourné au cauchemar. Ils ne me suivaient plus de loin mais marchaient presque derrière moi. Lorsque je me suis retrouvée dans une petite ruelle, ils m’ont abordée et m’ont demandé de leur remettre tout ce que je possédais, bijoux, cartes bancaires, argent. Je n’ai pas opposé de résistance, craignant le pire. J’ai compris qu’ils voulaient aussi autre chose. Ils m’ont caressée et l’un avait même baissé son pantalon alors que l’autre me bâillonnait pour m’empêcher de crier. C’était horrible. J’ai pensé qu’ils allaient à coup sûr me violer. Ce jour-là, Dieu était avec moi car un sans domicile fixe a fait irruption dans la ruelle et lorsqu’il s’est rendu compte de ce qui se tramait, il a hurlé et les deux hommes se sont enfuis. Dépouillée de tout, je suis retournée sur mon lieu de travail pour informer mes collègues. Ils m’ont conseillée de porter plainte à la police. Mais par peur de représailles, j’ai refusé. Avec recul, j’ai réalisé que ces deux hommes avaient observé mes habitudes et avaient noté que je n’étais ni raccompagnée, ni rejointe par quelqu’un », ajoute Pooshpa, toujours sous le choc.

En informant son époux de ce qui lui était arrivé, ce dernier, bien que très compréhensif, lui a ordonné de ne plus travailler. « Il a peur que la même chose se reproduise. Moi aussi d’ailleurs. J’ai préféré écouter ses conseils. Du coup, nous vivons de ses maigres revenues. C’est difficile de joindre les deux bouts, surtout avec un enfant de 10 ans. Depuis cet épisode, je n’ose plus m’aventurer seule hors de la maison. Je suis toujours accompagnée par mon mari ou quelqu’un de la famille. Je suis comme paralysée rien qu’à l’idée de sortir seule car je crains toujours le pire. »

Le plus difficile pour elle reste sa reconstruction. Bien qu’elle n’ait pas été violée, Pooshpa a le sentiment de l’avoir été moralement et conserve toujours les séquelles de cette agression. Vivre avec ce souvenir pénible au quotidien, est presque pour cette jeune maman un parcours de combattant. « Je ne sais pas si je pourrais reprendre ma vie en main tellement je suis traumatisée. On me conseille de voir un psychologue pour en parler. Mais je n’en sais trop rien. Je réfléchis toujours à cette éventualité ».

Le lieu de travail est l’un des endroits où le harcèlement sexuel est très répandu. Que ce soit dans les centres d’appels, dans les institutions bancaires et même dans les écoles, on le retrouve. En juin, une enseignante d’un collège privé a porté plainte au ministère de l’Education contre son recteur qu’elle a accusé de harcèlement sexuel. Si ce dernier a toujours réfuté ces allégations, il a finalement pris une retraite anticipée quelques semaines après la dénonciation. Etrange, n’est-ce pas ? D’après les lois en vigueur à Maurice, s’il était trouvé coupable d’un tel acte, il aurait perdu tous ses privilèges, soit sa pension de l’Etat, ses rémunérations, ainsi que son lump-sum. Alors qu’avec une retraite anticipée, il obtient quasiment tout ce qui lui est dû de l’école. D’autre part, si une personne est trouvée coupable de harcèlement sexuel, la loi prévoit une peine d’emprisonnement ne dépassant pas 10 ans ou une amende inférieure à Rs 200 000.

Si le recteur en question a préféré se retirer, dans la majorité des cas, ce sont les présumés victimes qui abandonnent leur emploi. Souvent en raison d’un traitement différencié entre le harceleur présumé et elles ou du fait que leur parole soit mise en doute. « J’ai toujours refusé les avances de mon supérieur mais lui persévérait. Mes dénonciations faites auprès de mon directeur n’ont pas abouti. A un moment, on me prenait pour une folle. Personne ne me croyait, d’autant plus que mon harceleur recevait sa femme et ses enfants à son bureau tous les 15 jours. Au final et de guerre lasse, j’ai préféré démissionner,» avance une ex-employée de bureau.

Malgré les lois en vigueur et les peines sévères pour réduire de moitié la violence basée sur le genre dont le harcèlement sexuel d’ici 2015, comme le demande le Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement, ce comportement inacceptable persiste à Maurice. Les campagnes de sensibilisation ne suffisent pas. L’éducation des générations à venir est primordiale. Elle doit commencer maintenant, dans chaque foyer.

Source: Gender Links

Posted by on Nov 28 2013. Filed under Actualités. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0. You can leave a response or trackback to this entry

Leave a Reply

Search Archive

Search by Date
Search by Category
Search with Google

Photo Gallery

Copyright © 2011-2016 Minority Voice. All rights reserved.