Mort de Lee Kuan Yew, fondateur de la cité-Etat de Singapour…



De ce qui était un entrepôt britannique sur le déclin, Lee Kuan Yew, mort dans la nuit de dimanche 22 à lundi 23 mars à Singapour, a fait de cette cité-Etat un centre régional à la fois financier, de services et de haute technologie. Il en a fait un hypermarché où les élites d’Asie du Sud-Est font encore leurs emplettes et qui a longtemps mérité le détour aux yeux de gens aisés venus du monde entier.

Gérée telle une multinationale, réglementée jusque dans le moindre détail et guettée par l’ennui, l’île-Etat a longtemps eu l’allure d’une cité-jardin à l’abri des embouteillages et de la pollution qui fait rêver les visiteurs, en particulier ceux venus des grandes métropoles d’Asie. Lee Kuan Yew fut, avant tout, un bâtisseur sans grande considération pour ceux qui ne pensaient pas comme lui, surtout ceux qui ont tenté de se placer en travers de son chemin.
Parmi les fondateurs du Parti d’action du peuple

Né à Singapour le 16 septembre 1923 dans une famille chinoise – son prénom signifie « gloire, honneur » –, le jeune Lee est contraint d’interrompre ses études en raison de la Seconde Guerre mondiale. A la fin de l’occupation japonaise, il part s’inscrire à la prestigieuse London School of Economics, puis à Cambridge et enfin à Middle Temple, où il fait partie d’un groupe d’étudiants réclamant la fin de la domination britannique. Après de brillantes études et armé d’un bagage universitaire qui l’aidera à devenir, plus tard, l’un des analystes les plus écoutés d’Asie, il regagne Singapour pour s’y inscrire au barreau.

C’est ainsi qu’il devient le conseiller juridique de plusieurs syndicats crypto-communistes et participe activement, en novembre 1954, à la fondation du PAP, le Parti d’action du peuple, formation qui préconise alors l’union entre Singapour et la Malaisie dans le cadre d’une fédération réunissant également les possessions britanniques sur l’île de Bornéo, les futurs Etats malaisiens du Sarawak et du Sabah (se jugeant apparemment trop vulnérable, le sultanat de Brunei refusera d’entrer dans ce jeu). Persuadé que Singapour est alors trop petite pour constituer une entité indépendante viable, Lee Kuan Yew compte s’appuyer sur les populations chinoises (les trois quarts de Singapour, le tiers de la Malaisie) pour se faire entendre.

Aux élections de 1955, il figure parmi les trois membres élus du PAP, dont il est le sécrétaire général. En 1959, toujours dans le cadre de l’autonomie interne, le PAP remporte une large victoire et Lee Kuan Yew prend la tête du gouvernement local. Dans la foulée, il parvient à convaincre Tunku Abdul Rahman, premier ministre d’une Malaisie indépendante depuis 1957, de la formation d’une fédération de Malaysia. La gauche du PAP quitte le mouvement pour former un Front socialiste (Barisan Sosialis) mais Lee Kuan Yew continue de gouverner en s’appuyant sur l’ancienne opposition de droite, et la Malaysia est proclamée en 1963, malgré l’opposition de l’Indonésie. Dans la foulée, Lee emporte sa deuxième victoire électorale à Singapour.
Sans arrière-pays, Singapour contraint à l’excellence

La Malaysia fait long feu. Les incursions du PAP en Malaisie péninsulaire, où il courtise les Chinois du cru, et le discours très direct de Lee inquiètent Kuala Lumpur. Le divorce est officiellement prononcé en 1965 et Singapour, sans arrière-pays, doit s’accommoder d’une indépendance dans la solitude. Cette contrainte, paradoxalement, donnera vite à Lee Kuan Yew l’occasion de donner sa vraie mesure : pour survivre, Singapour doit obtenir le prix d’excellence tout en contribuant à la stabilisation de son environnement régional. Les moyens sont la discipline, l’autorité, la compétence. Le guide ne peut s’encombrer des réserves de certains sur son projet. Il y a encore moins d’espace pour une opposition.

Sur le plan intérieur, le prestige de Lee Kuan Yew, un boom produit par une gestion rigoureuse et un système légal très contraignant font du PAP un parti dominant et sans grande tolérance à l’égard de ses adversaires. Sur le plan extérieur, d’une importance cruciale compte tenu de la vulnérabilité de l’île-Etat, Lee Kuan Yew réoriente sa diplomatie. Membre fondateur mais peu enthousiaste, en 1967, de l’Asean – il craint alors que le poids de l’Indonésie soit écrasant –, Lee découvre vite les avantages de cette Association des nations de l’Asie du Sud-Est : aplanir les conflits régionaux, définir un espace entre la Chine et les Etats-Unis, faire passer le message de celui dont la stature dépasse largement les frontières de Singapour.
Trente et un ans au gouvernement

Le gouvernement singapourien, avec sa réserve croissante de cerveaux, donne donc une impulsion à l’Asean, mais dans les coulisses plutôt que sur le devant de la scène. Pendant ses trente et une années passées à la tête du gouvernement (1959-1990), Lee favorise également l’intégration des économies régionales ou, plus justement, leur interdépendance avec, par exemple, la constitution de « triangles de croissance », le premier étant formé par Singapour, l’Etat malaisien voisin de Johore et l’île indonésienne de Batam. Singapour, l’un des quatre premiers « tigres » de l’Asie, devient ainsi un centre de services et une place financière indispensables.

C’est à Singapour qu’est conçue, en janvier 1992, l’AFTA (Asean Free Trade Area), la zone de libre-échange de l’Asean. C’est également Singapour qui propose, en 1994, l’amorce d’un dialogue euro-asiatique qui prendra forme, deux années plus tard, avec la tenue à Bangkok d’un premier sommet entre l’Union européenne et dix Etats d’Asie orientale. L’île-Etat est également le principal avocat de ces « valeurs asiatiques » – discipline, démocratie consensuelle – que l’on entend opposer aux valeurs universelles et, en particulier, à la « démocratie de type occidental ».
Anticipation et jugements brutaux

Lee Kuan Yew a, pour lui, un sens inné de l’anticipation. Il se fait rapidement une idée très réaliste du cadre géopolitique au cœur duquel il se sent placé. La brutalité de ses jugements ne lui fait pas que des amis. Le Congrès philippin apprécie peu qu’il vienne à Manille lui expliquer que, faute de placer la discipline avant les libertés, les Philippines ne se développeront pas. Londres exprime ses préoccupations quand, en 1992, à l’université de Hongkong, Lee Kuan Yew suggère que le projet d’introduire davantage de démocratie dans la colonie britannique, à la veille de sa rétrocession à la Chine, pourrait faire partie d’un complot occidental contre Pékin.

Après avoir confié, en 1990, la direction du gouvernement à Goh Chok Tong, de dix-huit ans son cadet, Lee Kuan Yew demeura « senior minister » au sein du cabinet et, jusqu’en 1992, secrétaire général du PAP. Sacrifiant au paternalisme en vigueur, c’est le propre fils de Lee senior, Lee Hsien Loong, qui devient premier ministre en 2004. Il l’est encore aujourd’hui. Resté longtemps autorité morale de Singapour, le père aura continué durant des années à faire figure de patriarche à la mode néo-confucéenne. Après un sensible déclin électoral du PAP aux législatives de 2011, il finira cependant par se retirer des affaires et renoncer à ses fonctions de « ministre mentor », estimant, selon ses propres mots, qu’il était temps de « rompre avec le passé ». Peu avant, la mort de son épouse Kwa Geok Choo avec laquelle il avait vécu soixante-trois ans l’avait affecté au point qu’il avait confié dans un récent livre se « sentir de plus en plus faible » et souhaiter « mourir rapidement ».

Posted by on Mar 23 2015. Filed under Actualités, En Direct, Featured, Monde. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0. You can leave a response or trackback to this entry

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