Consultation de l’ICTA…



Propositions du diocèse de Port-Louis: « N’étouffons pas la liberté d’expression que nous voulons protéger »

« Nous avons tous la possibilité et la responsabilité d’en favoriser une utilisation positive », a ajouté le pape François.

Comme beaucoup de Mauriciens, nous avons pris connaissance des nouvelles règlementations proposées par l’Information and Communication Technologies Authority (ICTA) face aux textes, images, vidéos etc. qui offensent sur les réseaux sociaux, spécialement Facebook.

L’église catholique de Maurice, consciente de la place grandissante que les réseaux sociaux ont dans la vie des Mauriciens, souhaite apporter ses commentaires, recommandations et aussi fournir quelques pistes de réflexions sur ce sujet. Nous remercions l’ICTA pour l’opportunité donnée pour un débat sur ces propositions d’amendements. Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un sujet sensible – à la fois sur le plan éthique et technique – qui suscite déjà de nombreux échanges et débats dans le public, la presse et les réseaux sociaux. Cette confrontation d’idées, dans le respect des uns et des autres, est un élément fondamental de notre démocratie.

L’Eglise catholique à Maurice a toujours défendu la liberté d’expression : elle se réjouit du développement exponentiel des moyens de communication dans la mesure où les réseaux sociaux, telle une toile d’araignée qui interconnecte les personnes et les pays les plus reculés, peuvent être les instruments privilégiés de la mondialisation de la solidarité qui peut contrer la mondialisation de l’indifférence, si nous savons nous en servir.

Lors de la journée mondiale des communications sociales en 2009 et en 2019, les papes Benoît XVI et François nous ont proposé un éclairage très pertinent aujourd’hui pour le débat qui s’est ouvert chez nous. Pour la 43e édition de cette journée marquée le 24 janvier, après avoir considéré que les technologies de l’information et de la communication sont « un véritable don pour l’humanité », le pape émérite Benoît XVI a encouragé « toutes les personnes de bonne volonté qui travaillent dans le monde émergent de la communication digitale, afin qu’elles s’engagent à promouvoir une culture du respect, du dialogue, de l’amitié[1]. » En 2019, le pape François a abordé la réalité multidimensionnelle des réseaux sociaux qui « pose diverses questions de caractère éthique, sociale, juridique, politique, économique, et interpelle aussi l’Église ». « Tandis que les gouvernements cherchent des voies de réglementation légale pour sauver la vision originelle d’un réseau libre, ouvert et sécurisé, nous avons tous la possibilité et la responsabilité d’en favoriser une utilisation positive[2] », a ajouté le pape François. Dans le contexte mauricien, l’engagement de Mgr Jean Margéot et du père Henri Souchon restent pour l’Eglise une référence dans le domaine de la défense de la liberté d’expression.

Dans toute démocratie, une réglementation est nécessaire pour que les réseaux sociaux soient des espaces d’échanges et de débats, non d’outrances et de non-droit.  Nous voulons par cette correspondance joindre notre voix à celle de bien des citoyens et d’associations qui demandent aux autorités de ne pas se précipiter à mettre en pratique la révision de l’ICTA et de prendre le temps pour qu’une étude plus approfondie soit menée avec des juristes.

Nous soumettons ici quelques propositions :

  1. Clarifications de la proposition
    1. La proposition de l’ICTA demande plusieurs clarifications avant même qu’un débat soit ouvert. En premier lieu, il serait utile de mesurer de manière très large l’ampleur de la mauvaise utilisation et d’abus des réseaux pour justifier des mesures si menaçantes pour la liberté d’expression. Le danger serait de légiférer pour une minorité, celle qui choisit des pseudonymes pour ne pas être identifiée.
    1. Pour plus de clarté, il faudrait donner une liste des media et réseaux concernés par ces nouvelles mesures et les limites des dispositions proposées. Le texte de consultation est assez vague à ce sujet : « Internet and other information and communication services ».
    1. Quelle sera la composition du National Digital Ethics Committee (NDEC) et qui nommera ses membres ? A voir les nominations partisanes des board des corps paraétatiques, cela laisse à penser que l’Etat serait juge et partie. Sur quels critères seront nommés les office bearers et le chairman ?
    1. Vu la masse de messages produits chaque jour, comment prévoit-on de traiter l’immense volume de travail que demandera le traitement des données ?    
    1. Sur quels critères sera décidé ce qui est « harmful » et « illegal » en dehors des tribunaux ?
    1. Un système d’appel par rapport aux décisions prises est-il prévu ?
  • La section 12 de la constitution garantit au citoyen le droit à la liberté d’expression et les articles 9 et 288 du code pénal, le recourt légal pour protéger sa vie privée. Le citoyen ou l’institution lésé peut faire appel à la loi qui sanctionnera ceux qui sont jugés coupables. Pourquoi est-il nécessaire aujourd’hui de contourner le système judiciaire et renvoyer à l’exécutif l’autorité de décider ce qui est « harmful » ? Serait-ce à cause de la lenteur du judiciaire à sanctionner ? Est-ce parce que les lois ne sont plus adaptées aux situations nouvelles crées par l’explosion des libertés avec l’accessibilité des réseaux sociaux ?

Nous proposons qu’au lieu d’investir dans une institution de contrôle qui coûtera très cher à cause de la masse de données qu’il faudra chercher, analyser etc, il serait plus judicieux d’améliorer le système judiciaire surchargé et amender les dispositions du Code Pénal si nécessaire.

  • Dans tout enjeu, l’éducation reste la clé principale. Eduquer à l’utilisation des réseaux sociaux avec une composante d’éducation civique est primordiale. Cette discussion pourrait être menée par tous les acteurs de l’éducation à Maurice. Pourrait-on envisager d’inclure un module « utilisation des réseaux sociaux » dans les écoles, dès le primaire ?
  • De façon parallèle, il est urgent de mettre les réseaux sociaux devant leur responsabilité de diffuseur. Ainsi, comme le font les autres médias, ils seraient obligés de mettre en place un mécanisme interne, voire embaucher des Mauriciens pour faire cette modération. Selon les experts dans le domaine, cela peut se faire à distance.

Pour toutes ces raisons, il serait judicieux d’étendre le délai posé par l’ICTA pour ouvrir un dialogue national, un débat dans les médias sur l’utilisation des réseaux et ce que nous souhaitons faire comme Nation. Afin d’agir dans la transparence et privilégier le dialogue national, il serait bon de rendre public les points de vue, les diverses contributions des spécialistes et des citoyens lambda, reçus par l’ICTA. Il faut écouter les mécontentements exprimés jusqu’ici qui ne sont pas uniquement des déclarations d’opposants mais de citoyens conscients des dérives qu’une telle loi pourrait amener.

La mise en place d’un comité parlementaire multipartite équilibré pour discuter de ces questions et faire des recommandations à l’Assemblée nationale pourrait également décanter la situation. 

Ce délai est d’autant plus souhaitable car dans le contexte actuel, où notre population est épuisée par la Covid-19, il est nécessaire d’offrir une solution qui soit consensuelle et respectueuse de la liberté d’expression des citoyens.

Les propositions de l’ICTA seraient, du point de vue de l’Eglise catholique, une épée de Damoclès sur la liberté d’expression qui nous est garantie par la Section 12 de notre Constitution. L’ICTA le souligne d’ailleurs elle-même en pages 20-21 du document de consultation : « The proposed statutory framework will undoubtedly interfere with the Mauritian people’s fundamental rights and liberties in particular their rights to privacy and confidentiality and freedom of expression ». La liberté d’expression est un élément fondamental, un indicateur de la santé d’une démocratie et le mécanisme tel que proposé affaiblirait notre démocratie. Car, en voulant ainsi prévenir des abus d’usage, ne risquons-nous pas d’étouffer la liberté d’expression des Mauriciens ?

Père Jean Maurice Labour

Vicaire Général

12 mai 2021


[1] https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/messages/communications/documents/hf_ben-xvi_mes_20090124_43rd-world-communications-day.html

[2] https://www.vatican.va/content/francesco/fr/messages/communications/documents/papa-francesco_20190124_messaggio-comunicazioni-sociali.html

Posted by on May 13 2021. Filed under Actualités, Economie, En Direct, Faits Divers, Featured. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0. You can leave a response or trackback to this entry

Leave a Reply

Search Archive

Search by Date
Search by Category
Search with Google

Photo Gallery

Copyright © 2011-2016 Minority Voice. All rights reserved.