Publication des avoirs des élus…
Une démarche qui les rend vulnérables aux yeux des prédateurs économiques et des voleurs
« La manière dont on a publié les avoirs des élus serait un lynchage publique », estiment les observateurs.
Ivan Collendavelloo : « Il ne faut pas confondre publicité et voyeurisme »
L’ICAC est-elle en situation de conflit d’intérêt ?
Tout est-il permis au nom de la transparence ? Faut-il aller dans tous les excès pour satisfaire le voyeurisme ambiant de savoir qui possède quoi ? Que les élus déclarent leurs avoirs est une chose mais que cela soit jeté en pâture dans la presse a sans doute des effets pervers. Il est clair que ce nouvel élément s’ajoute à la longue liste des points existants qui font fuir certains professionnels et autres anonymes de la vie publique. Sans compter le lynchage au Parlement ou encore la publication des salaires et autres bénéfices pour ceux qui auraient pu toucher dix fois plus dans le secteur privé ou à l’étranger. Le Xournal s’est invité à la réflexion.
Si l’ensemble des avoirs des élus n’a pas été communiqué car les provisions de l’Article 7 sont limitées sur ce qui peut être rendue publique ou pas. C’est la publication qui pose problème selon les observateurs. D’ailleurs, c’est le Deputy Prime Minister, Ivan Collendavelloo SC, qui a tiré la sonnette d’alarme à ce sujet.
Selon lui, « il ne faut pas confondre publicité et voyeurisme. L’éminent Senior Counsel a déploré que « certaines personnes se soient laissées aller au voyeurisme plutôt qu’à l’importance de la transparence ». Il ajoute : « Il est important de connaître les biens que possèdent les députés, mais aussi l’évolution de leurs avoirs durant leur parcours politique. Si lorsqu’on a assumé des responsabilités ministérielles, on n’a rien, et qu’après cinq ans on a construit plusieurs maisons, cela donnera à la population une idée de la valeur du candidat qui est devant lui. La nécessité de publier les avoirs des parlementaires est un phénomène mondial. »
Il a vu juste. Quelques années de cela, une ancienne PPS qui habite la capitale, qui vient d’une famille très riche, s’est fait voler plus d’un million de roupies de bijoux. Certains ont parlé des voitures d’Etienne Sinatambou ou des propriétés d’Eshan Jumman, Ezra Jhuboo ou encore Mme Leela Devi Dookhun-Luchoomun. Ce qu’on ne dit pas c’est que ces élus ou anciens élus viennent de familles très riches. La manière dont on a publié leurs avoirs pourraient donner l’impression que c’est durant leurs mandats qu’ils ont acquis ce qu’ils possèdent. Ce n’est pas vrai. Ensuite il y a la déclaration qui est faite auprès de l’Independent Commission Against Corruption. La commission du Reduit Triangle est un « investigating body ». Cela ne risque-t-il pas d’affecter la présomption d’innocence d’un élu en cas d’enquête ?
Donc même si c’est une tendance mondiale de publier les avoirs, cela peut causer beaucoup de préjudices. Car certains estiment que cela pourrait mettre des élus dans des situations embarrassantes et de vulnérabilité. Ces publications deviennent également un lynchage public dans la vie des politiciens. Tandis que certaines personnalités publiques et les hauts fonctionnaires ne voient pas leurs avoirs publiés dans les colonnes de la presse.
Sans compter que « divulguer la valeur des avoirs pourrait donner lieu à toutes sortes de situations dont le vol. La déclaration des avoirs des élus peut attirer des vols. On ne sait jamais ce qui pourrait bien se produire.». Et livrer les élus vulnérables aux mains des prédateurs économiques qui eux ne reculent devant rien pour faire approuver leurs projets. Pourquoi doit-on publier les créances et la liste des créanciers des élus ?
Cependant, certains sont d’avis que la démarche derrière la déclaration des avoirs repose sur un souci de transparence auquel tout élu devrait souscrire.
Réactions …
Jane Ragoo, porte-parole la Confédération des Travailleurs du Secteur Privé
« Un homme public ne doit pas avoir peur s’il a bénéficié de façon honnête »
La porte-parole de la Confédération des Travailleurs du Secteur Privé, Jane Ragoo, accueille favorablement la Déclaration of Assets Act. Elle a ajouté que si quelqu’un a bénéficié de l’argent de façon honnête ou si quelqu’un est héritier d’une famille riche, il n’a pas peur de cacher ou de déclarer ses avoirs quand il fait partie des hommes publics. Et d’ajouter que : « C’est un pas en avant et bon pour la transparence. »
Arvin Boolell, leader de l’Opposition
“ Il serait mieux que la déclaration (full disclosure) soit faite auprès de la Mauritius Revenue Authority (MRA)»
Le leader de l’Opposition, Arvin Boolell, a fait comprendre qu’il y avait deux écoles de pensée lorsqu’il y avait des débats concernant cette loi. Pour lui, l’ICAC aurait un problème de crédibilité. « L’ICAC ne serait pas une institution appropriée pour être le dépositaire (depository). Il serait mieux que la déclaration (full disclosure) soit faite auprès de la Mauritius Revenue Authority (MRA) », estime-t-il.
Il est aussi d’avis que les banques ainsi que toutes les grandes compagnies qui sont listées à la bourse doivent déclarer leurs avoirs. Et d’ajouter que : « Je ne peux parler au nom des autres. Moi, j’ai déclaré mes avoirs. Comme les autres, j’ai accepté. C’est un prix à payer ».
Me Ajay Daby, ancien Speaker
« Il faut laisser tranquille ceux qui ont des biens dont la provenance est bien établie »
- Cet outil nécessaire dans l’assainissement dans la vie publique est devenu un lynchage public contre certaines personnes/politiciens
L’ancien Speaker de l’Assemblée Nationale, Me Ajay Daby, a affirmé que cette loi est devenue le souci de la transparence dans la vie concernant les hommes et les femmes publics. « On a pris du temps pour que cette loi soit sur les « Statute Books » puisqu’il fallait avoir un consensus autour de la question et que cela devienne un ‘public policy’ », a-t-il ajouté.
Me Ajay Daby a également affirmé : « Alors que je note le consensus sur la raison de cette loi pour les politiciens, entre autres, il me semble que cet outil nécessaire dans l’assainissement dans la vie publique soit devenu un lynchage public contre certaines personnes/politiciens. Le résultat est dangereux car des gens bien, un peu fortunés malgré leur potentiel d’offrir beaucoup de stabilité de par leur comportement, ne seraient pas tentés d’embrasser une carrière politique ».
L’avocat a, par ailleurs, laissé entendre qu’il ne fait aucun doute que certains de nos élus sont issus des familles bourgeoises et ‘well established’. « Aussi, longtemps que la provenance de leurs biens ne soit pas des ‘unfair opportunities’ et ‘positive discriminations’ par rapport aux autres, il faut les laisser tranquilles », a-t-il soutenu.
Me Ajay Daby a aussi fait comprendre qu’à l’avenir, il faudra nommer un dépositaire de documents concernés. « Je pense alors au poste de Parliamentary Commissionner for Administration, qui remplacerait l’Independent Commission Against Corruption (ICAC), dans sa fonction actuelle, le ‘custodian’ des documents », soutient-il.
Selon lui, l’ICAC est simplement un ‘investigate body’ not a regulatory authority. “ Therefore this leads to a conflict of roles which are mutually exclusive”, estime-t-il.
L’ancien Speaker de l’Assemblée Nationale est aussi d’avis qu’il faut laisser tranquille ceux qui ont des biens dont la provenance est bien établie. « Qu’on ne bascule pas dans l’idée d’une commission permanente. It will destroy the serenity of the country », a-t-il maintenu.
Me Ravi Rutnah
« Être issu d’une famille riche n’est pas un pêché »
Me Ravi Rutnah soutient que certains politiciens sont nés avec une cuillère en or dans la bouche, c’est-à-dire que leurs familles étaient très riches et que leurs enfants sont des fils à papa. « Bien sûr c’est chanceux d’être né dans une famille riche et en retour, on devient des héritiers riches et on se jette dans l’arène politique. Ce n’est pas un pêché d’être issu d’une famille riche », a-t-il ajouté.
Poursuivant, l’avocat explique également que dans le passé certains politiciens ont amassé des richesses durant leur mandat comme ministres ou députés. Or, certains politiciens qui petit à petit ont fait leurs nids par des façons pas très honnêtes « n’ont pas leur place dans la politique,», a-t-il conclu.