Nécrologie…Le matricule AU 748 ou « Le Parrain » , Roger Pardayan de Boucherville n’est plus
Il voulait écrire un livre à l’instar de Sam Poongavanam, ancien condamné à mort et auteur de ‘Condamné Amour’, pour raconter sa vie. Mais le destin en a voulu autrement. A 91 ans, Roger Pardayan de Boucherville a rendu l’âme ce mercredi 23 mars 2022. Son nom ne dira rien à la jeune génération, mais ceux qui ont vécu l’année 80, se souvient encore du dernier condamné à mort, à avoir échappé au couloir de la mort. On se rappelle ses photos en costume avec son cigare déambulant les couloirs de l’ancienne cour suprême dans des multiples démarches légales pour lui éviter la pendaison. Car il fut un temps, où la peine capitale était une réalité à Maurice. La dernière personne à avoir été exécutée était Essan Nanyeck, aussi connu comme Alexandre. Il avait été pendu à la prison centrale de Beau-Bassin un 10 octobre 1987. Après lui, cela devait être le tour de Roger Pardayan de Boucherville. Mais l’au-delà en a voulu autrement.
Doyen des détenus, Roger Pardaillan de Boucherville a quitté la Prison Centrale le samedi 19 février 2011 après plus d’un quart de siècle. Il a été envoyé en prison en 1986 pour avoir assassiné le chauffeur de taxi de sa belle-sœur, deux ans plus tôt. C’est à l’âge de 53 ans, en janvier 1984 qu’il a été arrêté pour l’assassinat du chauffeur de taxi de sa belle-sœur, Solange de Boucherville. Il lui avait été reproché d’avoir poignardé Sooreeadoo Jodhun le 5 janvier avant d’enterrer son cadavre sur la plage de Dilo Pourri, au Morne.
Quand le cadavre a été découvert presque quatorze jours plus tard, il a fait figure de suspect numéro un. Les empreintes de son majeur et son annulaire ayant été prélevées sur le véhicule de Sooreeadoo Jodhun, retrouvé à Plaine-Verte. Un complice, Serge Laval Lourdes, l’ayant confondu, celui-ci en a pris pour 21 ans de servitude pénale alors que lui-même a été condamné à la peine capitale, le 21 février 1986. Depuis son incarcération, Roger de Boucherville n’a jamais cessé de clamer son innocence, rappelant que Serge Laval Lourdes était revenu sur sa déposition. Et qu’il a, par la suite, impliqué un dénommé Jocelyn Marmite, un prisonnier évadé, dans l’assassinat du chauffeur de taxi.
Le matricule AU 748 ou « Le Parrain »
« De sa cellule, Roger de Boucherville faisait du trafic de stupéfiants. Il était considéré comme un baron, d’ailleurs on le surnommait ainsi. Il avait de grosses sommes d’argent sur lui et se servait des autres pour atteindre ses objectifs », lâche notre source. Selon lui, la santé défaillante de Roger de Boucherville ne l’a pas empêché de continuer ses opérations à l’intérieur de la prison, même s’il avait «changé» durant les dix dernières années de son incarcération.
« Depuis qu’il a commencé à avoir des problèmes de santé, de Boucherville a été transféré au Hospital Yard de la prison. C’est dans cette zone, à l’intérieur de sa cellule, que la somme de Rs 38 000, un federal streamer, des semences de gandia, un téléphone portable, des cartes SIM, un couteau et un rasoir avaient été retrouvés en 2007. » D’où sa condamnation à trois mois de prison le 22 avril 2009 par le magistrat Denis Mootoo. Roger de Boucherville avait plaidé coupable pour possession de drogue et autres objets non autorisés.
Surnommé « le parrain », « le baron » ou encore « Joe Dalton », Autant de sobriquets qui en disent long sur celui qui s’est retrouvé, pendant dix ans, dans le couloir de la mort, avant que sa peine ne soit commuée en réclusion à perpétuité avec l’abolition de la peine capitale en 1995. Il était craint et respecté dans l’univers carcérale. Il y avait un homme comme lui dans à peu près toute les prisons du monde. Ce statut lui donne droit à tous les privilèges et même à ceux qui ne sont pas normalement conférés aux détenus.
Un confrère écrivit qu’au fil des années, les nouveaux venus à la prison de Beau-Bassin ont appris, à leurs dépens, qu’il leur fallait rendre hommage à de Boucherville. A son service, il a aussi de nombreux détenus et quelques officiers de la prison qui s’attellent à lui faciliter la vie. Toutefois, son attitude envers les officiers de la prison dépend de leur grade et de ce qu’ils peuvent lui apporter. Ceux qu’il ne peut influencer, soit il les ignore ou alors c’est l’extrême courtoisie. Quand c’’est un haut gradé qui visite le Bloc A, où il est incarcéré, il lui dit bonjour. Si c’est le commissaire des prisons qui fait une tournée, le « baron » fait l’effort de sortir de son lit et de sa cellule pour aller le saluer.
Roger France Pardayan de Boucherville en a fait voir de toutes les couleurs à ceux qui l’ont côtoyé dans l’univers carcéral. Injures, insultes… il n’y allait pas de main-morte avec ceux qui se mettaient en travers de son chemin. Garde-chiourmes et assistants commissaires des prisons y compris, comme en témoigne un cadre de la prison.
« Il avait une grande gueule et ne mâchait pas ses mots. Il s’emportait principalement quand ses requêtes auprès des responsables de l’institution pénitentiaire n’aboutissaient pas. Je me souviens qu’un jour, il avait fait une demande pour qu’il puisse prendre une photo avec son petit-fils qui venait lui rendre visite le jour de sa première communion. On le lui avait refusé. Il était fou de colère et avait injurié plusieurs hauts cadres de la prison devant tout le monde », se souvient notre interlocuteur qui a connu Roger de Boucherville lorsqu’il était écroué au Bloc A, à la prison de Beau-Bassin. Ce même bloc que l’on surnommait alors le couloir de la mort.
La liberté
« Je suis content de retrouver ma liberté. Je n’ai pas dormi tellement j’étais heureux. Je n’avais plus d’espoir que cela arrive un jour. Les juges ont été très sévères avec moi. Aujourd’hui, je me sens bien », avait-il lancé à sa sortie de prison avant d’étreindre ses proches venus l’accueillir avec des larmes de joie. Dans le couloir de la mort, Roger de Boucherville a vu une lueur d’espoir en 1995 quand le Parti Mauricien Social Démocrate (PMSD) entre au gouvernement. Sir Maurice Rault ayant réclamé l’abrogation de la peine de mort pour être ministre de la Justice, la peine du condamné est commuée à la prison à perpétuité.
Il faut se rappeler qu’une douzaine d’exécutions ont eu lieu durant le XXe siècle à Maurice. Les trois derniers pendus sont Claude Gowin (en 1961), Louis Léopold Myrtille (en 1985) et Eshan Nayeck, dit Alexandre (en 1987).
A partir de là, le prisonnier a enclenché les actions légales pour que sa peine soit réduite. Il s’est tourné vers le Conseil privé de la Reine qui a estimé que la prison à vie est anti constitutionnelle. Le Full Bench de la cour suprême s’est alors penché sur son cas et a fixé sa peine à 25 ans de prison. Avant sa condamnation à vie, il y a fait des allers-retours à plusieurs reprises pour divers délits. Son frère était aussi un pensionnaire régulier de la prison de Beau-Bassin.
“Durant mon incarcération, j’ai subi plusieurs interventions chirurgicales. J’ai eu deux ulcères à l’estomac et on m’a enlevé un rein abîmé par des calculs. Je fais également de l’hypertension artérielle. Je fais le va-et-vient chez mon médecin” explique l’ancien condamné à mort. Il souligne qu’il n’a jamais remis les pieds à la prison depuis sa libération. « La prison laisse des séquelles. Les semaines qui ont suivi ma libération ont été très difficiles. J’ai eu une migraine incroyable pendant près d’un mois et demi. Tout était nouveau pour moi et j’arrivais à peine à m’habituer à ma nouvelle vie, surtout pour ce qui est des heures de repas. Et même aujourd’hui, j’ai tendance à fermer les fenêtres à 16 heures. Mon épouse Thérèse doit me rappeler que je ne suis plus en prison », ajoute l’ancien détenu.
On se souvient aussi qu’il était parti se ressourcer à l’Ile aux Cerfs après sa libération.
Le bien-être des détenus
En octobre 2015, Roger de Boucherville rencontre Liyyakat Polin par l’entremise d’un groupe de presse. Les deux anciens détenus évoquent de mesure pour humaniser et améliorer la vie des détenus. Leurs points communs : (i) ils ont purgé de lourdes peines d’emprisonnement pour des assassinats et (ii) ils étaient des vedettes en prison. Mais leurs routes ne se sont jamais croisées en prison. Ils étaient incarcérés soit dans des prisons différentes ou dans des cellules différentes. Liyyakat Polin, condamné à 21 ans de prison (mais il n’en a fait que 15), était incarcéré à la prison de haute sécurité La bastille, Phoenix, avant d’être transféré à la prison centrale, puis à la prison de Petit-Verger.
Les deux anciens détenus que nous avons rencontrés sont d’avis que le gouvernement doit revoir la loi régissant les remises de peine pour les coupables de trafic de drogue. “La prison est le dernier endroit où une personne songe à mettre les pieds. L’incarcération est le moyen pour un condamné de payer sa dette envers la société. Et la remise de peine est importante pour le détenu et pour sa famille. Elle va de pair avec l’emprisonnement. La condamnation à vie est une injustice. Dans cette situation, le prisonnier se sent frustré et il n’aura aucune envie de purger sa peine, car il sait qu’il ne sera jamais libéré », avance Liyyakat Polin.
Roger de Boucherville, qui a échappé à la prison à vie, abonde dans le même sens. «J’ai côtoyé de nombreux détenus. Je suis bien placé pour dire que la remise de peine a un effet positif sur leur comportement », poursuit-il. La remise de peine est obtenue de diverses façons : la bonne conduite et les corvées, entre autres. « Un détenu qui sait qu’il aura une remise de peine fera de son mieux pour bien se comporter en prison. Le détenu qui purge un emprisonnement à vie fera ce que bon lui semble et il paiera ses frasques dans les cachots de la prison pendant plusieurs jours, avant de passer en jugement devant un conseil constitué du personnel pénitentiaire », fait ressortir Roger de Boucherville.
Ils disent avoir côtoyé une centaine de détenus qui purgent des peines pour trafic de drogue. Ceux-ci espèrent obtenir des remises de peine un jour. Ils lancent un appel au gouvernement en vue de rapatrier les détenus étrangers. « Les avocats ont un grand rôle à jouer lorsqu’un détenu est traduit en cour. Mais bien souvent on réalise qu’ils ne jouent pas leurs rôles comme il se doit. Ils ont tendance à vous mettre la pression afin que vous plaidiez coupable et vous vous retrouviez derrière les barreaux. Le gouvernement doit revoir la façon dont les avocats opèrent. Surtout ceux qui sont commis d’office. Ils ont tendance à écrouer leurs clients », souligne Liyyakat Polin.
Les dates qui ont marqué sa vie
Janvier 1984 : Le cadavre de Sooreeadeo Jodhun, 27 ans, chauffeur de taxi de Solange de Boucherville, la belle-sœur de Roger de Boucherville, est retrouvé enfoui dans le sable sur la plage de Dilo-Pourri, au Morne. Roger de Boucherville est arrêté pour cet assassinat car ses empreintes sont relevées sur le taxi du disparu. Il ne cessera jamais de clamer son innocence.
Février 1986 : Roger de Boucherville et son présumé complice, Laval Lourdes, sont déférés aux assises pour meurtre avec préméditation. Le juge Rajsoomer Lallah condamne de Boucherville à la peine capitale, soit par pendaison, tandis que Laval Lourdes, lui, s’en sort avec 20 ans de servitude pénale.
Février 1986 – 1995 : Roger de Boucherville se trouve dans le couloir de la mort. Après la pendaison d’Essan Nanyeck, son camarade de cellule, le 10 octobre 1987, il devait être le prochain à connaître le même sort.
1995 : La peine capitale est suspendue avec l’entrée du PMSD au gouvernement. C’était une des conditions imposées par cette formation pour se joindre au gouvernement. Roger de Boucherville voit sa peine commuée en une sentence de prison à vie en décembre 1995.
Janvier 2009 : La Cour suprême décide qu’il sera relâché le 19 février 2011, 25 ans après sa condamnation.
Janvier 2007 : Des objets non autorisés sont retrouvés dans sa cellule. Il emprunte de nouveau le chemin du tribunal et écope de trois mois de prison de plus en avril 2009.
Février 2011 : Roger de Boucherville est un homme libre.
Mars 2022 : Il meurt à l’âge de 91 ans. Le convoi mortuaire de Roger de Boucherville est sorti de la Chapelle Ardente Elie and Sons à Beau-Bassin à 14 h le mercredi 24 mars pour se rendre en l’église de Saint-Jean Bosco. Il a été enterré au cimetière Bigara, Curepipe.