La Contribution des Sino-Mauriciens dans l’Emancipation Economique de Maurice



Par Kwan Poon

LES PREMIERS CHINOIS SOUS LES DIFFÉRENTES ADMINISTRATIONS COLONIALES

PERIODE COLONIALE HOLLANDAISE (1598, 1638-1710)

A la suite d’une tempête, les archives nous apprennent qu’une première expédition de cinq bateaux hollandais menée par Wybrand van Warwijck accostèrent à Maurice le 20 septembre 1598. Ils donnèrent le nom de Prince Maurice de Nassau à cette île. Ils repartirent le 2 octobre 1598 pour rallier Bantam en Indonésie près du détroit de Sonde sur la Route des Epices.

L’établissement d’une colonie par les hollandais ne débuta qu’en 1638 pour se terminer en 1710. Durant cette période, les hollandais firent venir des esclaves de Madagascar mais aussi des forçats de l’Indonésie, entre autres.

Étant donné que la présence chinoise en Indonésie était déjà bien établie, quelques prisonniers chinois furent envoyés à Maurice pour travailler à l’édification de la nouvelle colonie. C’est ainsi qu’Albert Pitot nota dans son ouvrage “T’Eylandt Mauritius” que trois prisonniers Chinois arrivèrent à Maurice sur le bateau au nom du ‘Haes’en provenance de Batavia le 7 mars 1654.

Cependant, des recherches plus poussées en cours par le mauricien Joel Edouard sur les archives du VOC ont mis en lumière de nouvelles données. En effet, des 1650, un autre forçat chinois enregistré sous le nom de ‘Bunckij’ (prononce Bunckai) avait déjà été envoyé à Maurice, toujours de Batavia.

PÉRIODE COLONIALE FRANÇAISE (1715, 1721-1810)

Après que les hollandais eurent abandonné Maurice, Guillaume Dufresne d’Arsel débarqua et prit possession de l’île comme point de ravitaillement géostratégique sur la Route des Indes Orientales. Mais la colonisation ne débuta qu’en 1721 avec un premier contingent de colons qui allaient développer ce rocher perdu au milieu de l’Océan Indien en la transformant en la Perle de l’Océan indien.

En consultant les registres des arrivées, on note qu’en 1745 sous l’administration du Comte Charles Hector d’Estaing, on arrive à retracer l’arrivée de plusieurs Chinois dont les occupations variaient entre esclaves, artisans, jardiniers ou commerçants. Autre fait intéressant, les deux premières femmes chinoises au nom de Pauline et Gracia arrivèrent aussi cette année-là. L’armateur Louis Vigoureux les auraient achetées comme esclaves à Canton.

PÉRIODE COLONIALE BRITANNIQUE (1810-1968)

Le développement du commerce mondial accentua l’importance géostratégique de Maurice comme pied-à-terre sur la Route du Thé. Après une tentative infructueuse par Labourdonnais de conquérir l’Inde a partir de Maurice, les Anglais jugèrent que le contrôle de Maurice était crucial pour protéger le ‘Jewel of the Crown.’

Ainsi donc, après une tentative ratée en août 1810 qui résulta en la plus grande victoire navale française de l’ère napoléonienne. D’ailleurs, cette victoire la Bataille de Grand Port est gravée sur l’Arc de Triomphe à Paris.

Les Anglais décidèrent de prendre les taureaux par les cornes et envoyèrent une escadre de près d’une centaine de navires pour prendre l’ile. Face à cette gigantesque armada, les Français capitulèrent le 3 décembre 1810. Le Traité de Paris fut signé le 30 mai 1814 et concéda officiellement l’ile de France et ses dépendances aux Anglais tout en préservant certains droits et privilèges aux colons français.

Robert Townsend Farquhar fut le premier gouverneur anglais entre 1810 et 1823.Avant de venir à Maurice, il était gouverneur adjoint à Penang et avait vu les Chinois à l’œuvre. Avec l’abolition de l’esclavage en vue, les Britanniques décidèrent de se rabattre sur les coolies. D’abord, Farquhar eut donc l’idée de faire venir des coolies chinois du sud-est Asiatique pour travailler dans les champs de canne.

En 1829, deux groupes de 149 et 249 travailleurs engagés chinois débarquèrent à Maurice après avoir été embarqués à Singapour. L’importation des coolies ira en crescendo et dans les années 1840, plusieurs milliers de chinois arrivèrent ainsi à Maurice. Malheureusement, les Chinois n’étaient pas satisfaits des conditions et du traitement reçu et se révoltèrent.  Les autorités anglaises changèrent leur fusil d’épaule et fit venir les Girmityas de l’Inde.

LES BOUTIQUES CHINOISES

Les travailleurs indiens furent déployés en grande masse dans les sucreries à travers l’ile et après ce ‘Great Experiment’ conculant, les autres colonies anglaises emboîtèrent le pas à Maurice.

Cette vague de l’immigration indienne vit la création des camps de travailleurs à travers l’ile. Comme leur maigre compensation ne suffisait pas et que le gros de la paye ne leur était versé qu’après la coupe et la vente du sucre, cela créa une opportunité pour les commerçants chinois. Ils vont exceller dans le commerce du détail à travers la mise en place d’un réseau de boutiques chinoises pour desservir cette communauté de travailleurs.

Ainsi naquit le fameux ‘carnet laboutik’ pour noter les ventes à crédit pour aider à faire bouillir la marmite. De même, pour tout mariage, cérémonie religieuse ou autre fête nécessitant une certaine dépense, les travailleurs obtinrent le soutien financier du boutiquier du coin pour les approvisionnements nécessaires. C’est ainsi qu’une forme de relation mutuellement bénéfique entre en existence et la société mauricienne dans sa grande majorité est reconnaissante envers de la communauté sino-mauricienne pour son soutien durant les temps difficiles.

Durant la Seconde Guerre Mondiale, la Chambre de Commerce Chinoise sous la présidence de Jean Moilin AH CHUEN fut mise à contribution par les autorités coloniales pour acheminer les produits de base de façon ordonnée à travers le pays. Le ‘carnet laboutik’ évolua en ‘carnet ration’ et le réseau de boutiques chinoises joua un rôle prééminent dans la stabilité sociale dans le pays. 

LE PÈRE DE LA ZONE FRANCHE

Juste après l’indépendance, Maurice était un pays dont l’économie dépendait essentiellement sur la monoculture de la canne à sucre. Il devenait urgent de trouver d’autres débouchés économiques et c’est Edouard LIM FAT qui au cours de ses voyages à travers le monde, avait pris note du succès des Zones Économiques Spéciales à Porto Rico et à Taïwan.

Il présenta le concept lors d’une conférence à Maurice et eut un écho fort favorable et publia un article à cet effet dans le magazine PROSI en 1969. Le PM d’alors Seewoosagur Ramgoolam en prit note et apporta son soutien au projet. Donc, l’Assemblée nationale passa la EPZ Act en 1970. Après quelques balbutiements dans les années 70, c’est dans les années 1980 et 1990 que la Zone Franche allait vraiment décoller sous la direction de Anerood Jugnauth comme PM.

La restitution de Hong Kong à la Chine était prévu pour le 1 juillet 1997 et cela donna lieu une certaine incertitude dans le milieu des affaires. En particulier, les entrepreneurs hongkongais recherchaient un nouvel eldorado pour implanter leurs usines. Leur premier choix tomba sur le Sri Lanka mais la politique du gouvernement n’était pas très encourageante.

Entrevoyant une fenêtre d’opportunité, Anerood Jugnauth déroula le tapis rouge aux investisseurs hongkongais qui désiraient s’installer à Maurice. C’est ainsi que dans l’espace de quelques années seulement, plusieurs grands noms du textile a Hong Kong, notamment Esquel Group, Crystal Group, Afasia Fashion, Novel Garments et Summit Textiles, entre autres, s’implantèrent à Maurice.

Le développement de la Zone France connut un tel essor que Maurice connut le plein emploi et dut avoir recours aux travailleurs étrangers. Le recrutement en masse des femmes mauriciennes contribua à leur émancipation économique car elles pouvaient maintenant jouir d’une certaine indépendance.  Maurice se signala aussi sur le marché mondial du textile en devenant l’un des plus gros exportateurs de knitwear.

Plus tard, en analysant le succès de Maurice, la Banque mondiale définit ce phénomène comme un ‘miracle économique’ et on présenta Edouard LIM FAT comme le ‘Père de la Zone Franche’ et Anerood Jugnauth comme le ‘Père du Miracle Économique.’

LAVENIR DE MAURICE ETROITEMENT LIE A LEMERGENCE DE LAFRIQUE ET LA MONTÉE EN PUISSANCE DE LA CHINE

De nos jours, d’un côté, nous notons la montée en puissance de la Chine et de l’autre l’émergence de l’Afrique, le continent dont Maurice fait partie. Dans le contexte géopolitique actuel, la Chine compte renforcer ses relations avec l’Afrique.

Grâce toujours à sa localisation géostratégique, Maurice serait à la croisée des chemins sur la Route de la Soie. De plus, Maurice et la Chine sont attachés à un développement durable en respectant les Objectifs de Développement Durable (SDG) de l’ONU. Dans cette optique, la Chine a annoncé le Global Development Initiative (GDI) pour impulser la réalisation des SDG et une autre fenêtre d’opportunité se profile à l’horizon pour Maurice.

Dans le cadre de ce programme économique planétaire, Maurice a la chance d’avoir été sélectionné pour être le premier pays en Afrique a signer un Accord de Libre-Échange (ALE) avec la Chine. Les retombées après deux années d’opération semblent très positives avec une progression du volume d’échanges bilatéraux.

Dans le même ordre d’idée, Maurice et la Chine viennent d’opérationnaliser le Centre de règlement RMB en décembre 2022. Ce centre a un potentiel et une aspiration régionale qu’il convient d’exploiter en mettant en avant les atouts du Centre international financier mauricien en renforçant le positionnement de Maurice en tant que hub de commerce et d’investissement pour l’Afrique.

D’autres opportunités restent à explorer sur cette axe Chine-Afrique qui est appelé à se renforcer davantage dans les années à venir.

Maurice compte l’un des plus anciens Chinatown en Afrique qui est un endroit emblématique de la communauté de Sino-mauriciens et pour tous les Mauriciens. Aujourd’hui, cette communauté peut jouer un rôle clé de passerelle dans leur pays d’adoption entre le pays des ancêtres et le continent de l’avenir.

Posted by on Jan 22 2023. Filed under Actualités, Economie, En Direct, Featured. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0. You can leave a response or trackback to this entry

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