Antananarivo en flammes : un jeudi noir entre contestation, violences et couvre-feu
Un jeudi noir. C’est en somme le résumé de ce qui s’est passé à Antananarivo et ses environs à la suite du mouvement de contestation contre les coupures d’électricité et d’eau initié par des conseillers municipaux de l’opposition, suivi par de nombreux citoyens. Malgré la barricade matinale érigée par les forces de l’ordre au rond-point d’Ambohijatovo, lieu de rendez-vous des manifestants, et l’interdiction de ce mouvement jugé « illégal » par le préfet de police et les dirigeants des forces de l’ordre, la foule est venue en masse.
« Mila Jiro, Mila Rano » ! C’est le chant que les manifestants ont scandé face aux forces de l’ordre qui sont restées fermes. Tout s’est passé de manière pacifique jusqu’à 11h30, moment où les grenades lacrymogènes et les jets de pierres ont éclaté du côté d’Ambohijatovo. D’un côté, les hommes en treillis cherchaient à disperser la foule tout en procédant à des arrestations, de l’autre, les manifestants résistent, notamment les jeunes du groupe Génération Z ainsi que des étudiants qui ont réussi à franchir certains barrages érigés par les autorités.
Le mouvement s’est étendu dans plusieurs quartiers de la capitale : Anosy, Anosizato, Ambanidia, Ambohipo, Antaninandro et Ambondrona. Les forces de l’ordre étaient déployées partout pour empêcher la foule de se rendre à Analakely ou à Antaninarenina. Des détonations de grenades lacrymogènes se faisaient entendre dans toute la ville. Et la scène de désolation ne tarda pas à se produire en fin de journée.
Tout a commencé par l’incendie des biens immobiliers et matériels roulants de parlementaires proches du pouvoir : Lalatiana Rakotondrazafy, Andry Ratsivahiny et Ranaivo Raholdina suivis par le saccage et l’incendie des terminaux du téléphérique à Anosizato, Anosy, Ankorondrano et Ivandry.
« 26 février 2009 » bis
En début de soirée, des actes de pillage et de saccage de magasins, suivis d’incendies, ont éclaté un peu partout : Tana Water Front à Ambodivona, La City à Ivandry, les quartiers de Tanjombato, Tsiadana, Anosibe, Anosizato et Talatamaty… Des scènes rappelant le lundi noir du 26 janvier 2009, lorsque les partisans d’Andry Rajoelina, actuel président de la République de Madagascar, avaient pillé entre autres les magasins du groupe Tiko de l’ancien président Marc Ravalomanana, ainsi que ceux d’opérateurs économiques.
Une vidéo circulant sur les réseaux sociaux depuis la nuit montre malheureusement qu’à Tanjombato, des pilleurs ont été assistés par les forces de l’ordre, qui les observaient et discutaient avec eux sans intervenir ni procéder à des arrestations. Ce qui a provoqué l’indignation de nombreux citoyens, dénonçant le contraste entre la répression du mouvement pacifique de la matinée et l’inaction face aux pillages nocturnes.
Les violences se sont poursuivies dans la soirée, notamment à Ambohibao-Andranoro, où résident les parents du président Andry Rajoelina. Plusieurs témoins du quartier ont confirmé des tirs ayant atteint plusieurs personnes à des dizaines de mètres de cette maison. Le nombre exact de décès reste néanmoins difficile à confirmer pour l’instant. Dans la capitale, les détonations de grenades lacrymogènes se sont poursuivies tard dans la nuit, notamment du côté d’Anosy et d’Anosizato.
Couvre-feu de 19h à 5h
Vers 19h40, le préfet d’Antananarivo, le général Angelo Ravelonarivo, a annoncé dans une brève vidéo diffusée sur les réseaux sociaux la mise en place d’un couvre-feu de 19h à 5h du matin dans sa juridiction, à Antananarivo Renivohitra. Il a justifié cette décision, jugée par certains « tardive » et donc post mortem, par la nécessité de protéger la population et ses biens. Il a également précisé que le mouvement relevait de la « revendication de droits fondamentaux » d’accès à l’électricité et à l’eau. Une mobilisation finalement reconnue comme légale par le Tribunal administratif, saisi par les conseillers municipaux pour contester l’interdiction émise la veille par le préfet.
Dans la soirée, le Premier ministre Christian Ntsay et les membres du gouvernement constituant l’Organe mixte de conception (OMC) national ont fait une déclaration confirmant la mise en place du couvre-feu dans la capitale jusqu’à nouvel ordre. Ils ont également annoncé la fermeture des établissements scolaires ce vendredi 26 septembre dans les districts environnants, notamment Atsimondrano et Avaradrano, ainsi qu’à Antsirabe, ville natale du président de la République, où les mêmes exactions ont été commises dans la journée et en début de soirée à la suite d’une autre manifestation populaire.