Un An pour Rien : La Méthode qui Aurait Pu Transformer Maurice en Trente Jours
- Le 60-0 promettait la révolution. Il a accouché de l’immobilisme.
Le 10 novembre 2024 restera dans les annales politiques mauriciennes comme le jour où le peuple confia à l’Alliance du Changement la totalité des sièges parlementaires. Soixante sur soixante : jamais mandat ne fut plus absolu. Parmi les promesses cardinales figurait l’adoption d’une Freedom of Information Act , pierre angulaire de la transparence démocratique.
Un an plus tard, jour pour jour, la promesse demeure à l’état de projet. Le gouvernement disposait de trois cent soixante-cinq jours pour graver dans le marbre législatif quatre mots : Freedom of Information Act . Il ne l’a point fait.
Cette défaillance ne relève ni de la fatalité ni de l’impossibilité technique. Elle procède d’une carence plus profonde : l’ignorance des méthodologies modernes d’implémentation rapide qui, ailleurs, transforment les engagements en réalisations. Ce n’est point la capacité intellectuelle qui fait défaut, mais la maîtrise des méthodes permettant de convertir l’intention en action.
I. La Révolution Agile : Quand le Privé Accomplit en Semaines ce que l’État n’a pas Fait en un An
Dans le secteur privé, une révolution silencieuse a balayé les anciens paradigmes de gestion de projet : la méthode agile . Née dans l’univers du développement logiciel, cette approche a essaimé dans tous les secteurs, y compris au sein d’administrations publiques de par le monde.
Elle repose sur quatre principes rompant avec la lourdeur bureaucratique : l’itération rapide plutôt que la planification exhaustive, avec des “sprints” de une à quatre semaines produisant des résultats tangibles ; la collaboration transversale brisant les silos institutionnels ; les 9résultats mesurables plutôt que les processus interminables ; l’adaptation continue plutôt que le suivisme rigide d’un plan devenu obsolète.
Les États-Unis l’ont adoptée pour moderniser leurs systèmes fédéraux, le Royaume-Uni pour refondre ses services numériques, le Danemark pour accélérer la rédaction législative. Maurice, forte de son 60-0, aurait pu devenir le laboratoire d’une gouvernance agile dans l’océan Indien. Au lieu de cela, elle s’enlise dans les méthodes d’un autre siècle.
II. Le FOIA en Trente Jours : Anatomie d’une Révolution Possible
Appliquons la méthode agile à l’adoption d’une Freedom of Information Act . Voici le calendrier le gouvernement de Navin Ramgoolam déterminé aurait pu suivre.
Semaine première – Constitution d’une task force agile de huit experts : constitutionnalistes, spécialistes du droit administratif, expert international en accès à l’information, journaliste, représentant de la société civile, technicien IT, coordinateur agile. Benchmarking des législations suédoise (1766), mexicaine (2003), britannique et indienne. Rédaction d’un Livre Blanc de quinze pages exposant principes, architecture, exceptions, coûts et calendrier. Publication immédiate en français, Anglais et Kreol .
Semaine deuxième – Distribution massive aux médias, partis, organisations civiles. Présence quotidienne des experts dans les matinales radiophoniques, éditoriaux de presse, débats télévisés. Plateforme numérique recueillant les observations publiques. À l’issue : plusieurs centaines de commentaires analysés, Livre Blanc enrichi en version 2.0.
Semaine troisième – Cinq débats publics régionaux (Nord , Sud , Est , Ouest et centre ). Trois heures chacun : une heure de présentation, deux heures d’échanges directs. Diffusion en direct sur MBC et streaming. Intégration des retours durant le week-end.
Semaine quatrième – Hackathon législatif au Centre de Conférence Swami Vivekananda. Cinquante personnalités conviées : parlementaires, juristes, journalistes, activistes, experts. Huit groupes de travail, un par chapitre de la loi. Sprints de quatre heures avec sessions plénières. Juristes-rédacteurs assurant la précision législative. En quarante-huit heures : projet de loi complet de trente pages, prêt pour le Parlement.
Semaine cinquième – Dépôt immédiat au Parlement. Avec le 60-0, nulle obstruction. Première lecture (2 jours), deuxième lecture avec débats (3 jours), troisième lecture et vote (1 jour), promulgation présidentielle (1 jour). À l’issue : Freedom of Information Act en vigueur.
III. Les Vertus Cardinales de cette Méthode
Cette approche garantit cinq avantages décisifs : rapidité d’exécution ( trente jours versus une année d’atermoiements) ; légitimité démocratique ( consultation massive à chaque étape) ; qualité substantielle ( benchmarking international, expertise multidisciplinaire, révisions itératives) ; transparence intégrale ( chaque des 5 phases publiques , diffusée, documentée) ; responsabilité assumée (livrables concrets hebdomadaires, jalons mesurables).
Une Freedom of Information Act n’est point de la science spatiale. Plus de cent vingt-cinq nations l’ont adoptée. La Suède en 1766, le Mexique en 2003, l’Inde en 2005. Maurice, dotée d’un 60-0 inédit, aurait pu décréter la législation la plus progressiste de l’océan Indien en un mois. Trois cent soixante-cinq jours plus tard : le néant.
IV. Une Méthode Applicable à Toute Réforme
Cette méthode agile aurait pu s’appliquer à l’ensemble du programme gouvernemental : Plan Maurice 2040, lutte contre la drogue, combat contre la corruption, développement de nouveaux piliers économiques. Chaque projet, selon le même schéma, aurait pu aboutir en quatre à six semaines. Maurice aurait pu devenir un laboratoire de gouvernance agile. Mais ceci fera l’objet d’un prochain éditorial.
V. Le Raz-de-Marée qui s’est Échoué
Un an après le triomphe électoral, le constat s’impose : ce gouvernement ne sait pas accélérer.
Le problème ne tient point au manque de ressources. Avec soixante députés et zéro opposition, il dispose d’une puissance inédite. Il ne procède point de l’incompétence intellectuelle. Maurice regorge de talents. Le problème est méthodologique.
Nos dirigeants fonctionnent selon les canons d’un siècle révolu : bureaucratie léthargique, consultations sans fin, comités proliférants, rapports dormants. Pendant ce temps, le secteur privé livre en semaines, les gouvernements modernes pratiquent l’agilité, les start-ups disruptent en mois. Maurice demeure prisonnière d’un immobilisme travesti en prudence.
Le 60-0 nous avait promis un sprint. Nous avons hérité d’une sieste prolongée.
Une Freedom of Information Act aurait pu être promulguée en trente jours. Un an plus tard, elle demeure “en préparation” – formule qui, en français administratif mauricien, signifie “aux calendes grecques”.
La question n’est plus de savoir si nos gouvernants possèdent la volonté d’agir. La question, plus fondamentale, est de déterminer s’ils maîtrisent les méthodes qui permettent de convertir la volonté en réalisation.
Et si la réponse devait être négative, deux voies seulement s’offrent : apprendre sans délai ces méthodes qui font ailleurs la différence, ou laisser la place à ceux qui les maîtrisent.
Le peuple mauricien mérite mieux que des engagements éternellement “en préparation”. Il mérite un gouvernement qui sait faire, et qui fait vite. Le 10 novembre 2024, les électeurs ont donné tous les instruments de la transformation. Le 10 novembre 2025, force est de constater que ces instruments demeurent inutilisés.
Dans un an, lors du deuxième anniversaire, quelle sera l’addition ? Trente projets de loi adoptés par méthode agile, ou trente nouveaux projets “en préparation” ?
L’histoire jugera. Elle juge toujours.
Gérard Sanspeur
( Practicien de la méthode Agile )












