Eurozone : Français et Allemands peaufinent une « feuille de route » commune pour l’Europe
En préparation du sommet européen des 28 et 29 juin, un conseil des ministres franco-allemand se tient, ce mardi, près de Berlin.
Même si des questions sensibles restent encore à trancher, et devraient l’être sur place, le conseil des ministres franco-allemand de mardi 19 juin, au château de Meseberg, près de Berlin, devrait pouvoir accoucher d’une « feuille de route » commune pour l’avenir de l’Union européenne. Elle risque cependant de rester modeste, au regard des ambitions affichées par Emmanuel Macron au début de son mandat.
Le président français, qui tenait particulièrement à des avancées significatives sur la zone euro, a déployé beaucoup d’énergie, ces derniers mois, pour y parvenir. « Il est essentiel qu’il y ait un accord, mardi, lors du sommet franco-allemand sur la réforme de la zone euro et que cet accord soit substantiel », insistait encore l’Elysée, lundi.
Mais le chef de l’Etat a buté sur les réticences allemandes, l’affaiblissement politique d’Angela Merkel n’ayant pas aidé à la conclusion d’un compromis ambitieux. La grave crise politique qui, depuis quelques jours, oppose la chancelière à son ministre de l’intérieur, Horst Seehofer, sur la crise migratoire, a en effet réduit encore davantage sa marge de manœuvre vis-à-vis de l’aile droite de sa majorité, rétive à toute avancée sur la zone euro.
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Un vrai budget pour l’Eurozone ?
Il s’agissait de la première revendication du président Macron : un vrai budget pour la zone euro, alimenté par des ressources propres et permettant de venir en aide à l’un des dix-neuf membres de l’union monétaire en cas de coup dur « asymétrique » (c’est-à-dire qui le toucherait à l’exclusion des autres), afin d’éviter qu’il ne coupe dans ses investissements publics pour limiter sa dérive budgétaire.
Au final, on sera très loin du « budget à plusieurs points de PIB » que réclamait le chef de l’Etat français à l’été 2017. Mais Olaf Scholz, le nouveau vice-chancelier et ministre allemand des finances, d’abord très réservé, a évolué vers l’idée d’une « capacité budgétaire », étant entendu qu’elle ne devra en aucune manière conduire à une « union de transferts » (aide inconditionnelle d’un pays à l’autre), un des grands tabous allemands. « Le fait que l’on ait acté l’idée d’un budget spécifique de la zone euro est déjà en soi une avancée »,estime-t-on côté français.
Lundi, après au total plus de 35 heures de négociations au cours des dernières semaines, d’abord à Sofia, puis à Berlin, Paris et enfin à Hambourg samedi, Olaf Scholz et son homologue français, Bruno Le Maire, ne s’étaient toutefois pas encore mis d’accord sur le montant dudit budget. Si un ordre de grandeur devait être précisé par M. Macron et Mme Merkel lors de leur conférence de presse conjointe, mardi, à Meseberg, il pourrait toutefois être situé entre une dizaine et une quarantaine de milliards d’euros, veut-on espérer à Paris.
Ce budget pourrait être alimenté en continu à la fois par des contributions des Etats (proportionnelles à leur produit national brut) et des ressources additionnelles propres. Les Etats en difficulté pourraient bénéficier de prêts à court terme, et seraient dispensés de contribuer au budget le temps de remonter la pente. Cette fonction, dite de « stabilisation », n’était au départ pas envisagé par les Allemands.
Reste encore à trancher la question de la gouvernance du mécanisme : les Français plaident pour un déclenchement des prêts automatique, sans conditions. Les Allemands ne sont pas de cet avis. Cela fait partie des points qui restent à arbitrer entre Emmanuel Macron et Angela Merkel.
Plus technique, mais tout aussi important : Paris et Berlin devraient aussi s’accorder sur la mise en place d’un filet de sécurité supplémentaire de plusieurs dizaines milliards d’euros pour le fonds de résolution de l’union bancaire, afin de venir en soutien en cas de sauvetage particulièrement lourd d’une banque défaillante. Là encore, la gouvernance de cet instrument pose problème : les Allemands réclament qu’avant d’être activé, leur Parlement, le Bundestag, soit consulté.
Enfin, Paris et Berlin devraient s’engager à relancer les discussions européennes, actuellement bloquées, sur l’harmonisation du calcul de l’impôt sur les sociétés. Un bon moyen d’éliminer nombre de montages d’évasion fiscale, mais que le Luxembourg, entre autres, refuse obstinément.
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Hypothétiques avancées sur la migration
Le refus du nouveau gouvernement italien de laisser accoster des bateaux d’ONG secourant des migrants en Méditerranée a replacé très haut sur l’agenda européen le dossier de l’immigration. « Je considère que cette question est l’une des plus importantes à régler pour l’avenir de l’Europe », a déclaré Mme Merkel, samedi, dans son podcast vidéo hebdomadaire.
Paris et Berlin travaillent sur une initiative conjointe pour trouver une éventuelle issue à la réforme, totalement bloquée, du règlement « Dublin III », qui date de 2013, et qui rend obligatoire, par le pays de première arrivée, l’examen d’une demande d’asile. Rome réclame à cor et à cri ce changement auquel une majorité de pays membres s’oppose, farouchement ou discrètement.
Mais cette position commune, si elle voit le jour mardi, aidera t-elle à obtenir un accord à 28 ? Aidera t-elle la chancelière à répondre à l’ultimatum de la CSU bavaroise, son partenaire au gouvernement dont son ministre de l’intérieur est le chef de file et qui lui a donné quinze jours, lundi après-midi, pour trouver une solution européenne ? M. Seehofer veut en effet refouler tous les demandeurs d’asile ayant été préalablement enregistrés dans un autre pays européen et dont les empreintes sont inscrites dans le fichier Eurodac. Angela Merkel juge que cela ne peut s’envisager que dans le cadre d’une remise à plat des accords de Dublin.
Pour l’heure, ce sont surtout des solutions bi, tri, ou quadrilatérales qui s’ébauchent. Mais pas des solutions européennes… L’Autriche, qui va assumerla présidence tournante de l’Union à partir du 1er juillet, tente de pousser le projet de création de camps de rétention aux frontières extérieures de l’Union. Entre-temps, elle cherche un accord avec l’Allemagne pour le renvoi automatique vers l’Italie ou la Grèce d’un candidat à l’asile arrivé par l’un de ces pays. Ce que refusent obstinément ces deux Etats.
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Une position ambiguë sur la défense
Au château de Meseberg, le président français et la chancelière allemande devraient aussi afficher leur volontarisme en matière de défense européenne. Emmanuel Macron prône le développement d’une « culture stratégique »européenne censée préfigurer – à long terme – une autonomie stratégique. Dans le futur, l’Union doit être, selon lui, capable de mener des opérations conjointes.
Son projet a pris la forme de l’initiative européenne d’intervention mais la réponse de Berlin reste, à ce stade, évasive, même si la chancelière s’est dite « positivement disposée » à examiner ce projet. Pour le président français, l’enjeu est de tester l’engagement de l’Allemagne – et des autres pays ensuite – dans les pays du voisinage sud, où réside, selon lui, la principale menace sécuritaire.
Sans le dire clairement, la diplomatie française juge aussi que la récente initiative de Coopération structurée permanente (Pesco), censée favoriser les progrès rapides dans le domaine de la défense, va pâtir de son obésité : 25 pays membres se sont finalement inscrits dans ce projet, qui, en outre, ne couvre pas le domaine opérationnel.C’est pourtant dans le cadre de la Pesco que l’Allemagne veut œuvrer, tandis qu’elle refuse d’associer, à ce stade, la Grande-Bretagne aux discussions, ce qui réduira encore son ambition. Au total, Berlin semble, en fait, voir dans ce projet une manière d’affaiblir l’Europe plutôt que de la renforcer.