Dr Roopanand Mahadew, expert international en droits humains…Vidéos diffusées sur les réseaux sociaux : C’est très dérangeant pour la société et notre force policière
- Les institutions doivent travailler tous ensemble
- Ceux qui forment les policiers doivent prendre l’exemple sur d’autres pays où les actes des brutalités policières sont très rares ou inexistants
- « Les actes de tortures sont inacceptables et hautement condamnables »
L’expert international en droits humains, Dr Roopanand Mahadew, plus connu sous le nom d’Amar, a, dans une interview accordée à Le Xournal, commenté le fonctionnement et la mise sur pied de l’importance de la Commission Nationale des Droits de l’Homme et l’Independent Police Complaints Commission. Il a aussi fait état des actes des brutalités policières, des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux dévoilant des actes de tortures subis par trois suspects entre les mains des policiers ainsi. Notre interlocuteur en a aussi profité pour faire des propositions sur la formation des policiers afin d’éviter que ce genre de choses ne se reproduisent.
Sanjay BIJLOLL
Q : Y-a-t-il une définition de la torture ? Qu’est-ce qui la sépare de la barbarie et de la brutalité ?
R : Une définition a été donnée par les Nations Unies à travers de la Convention de 1984 sur la Torture. Maurice y a accédé en 1992. Un acte de torture peut être physique ou mental, qui est fait ou commis avec une certaine intensité et avec un but précis. De ce fait, il existe un niveau de souffrance que la victime doit malheureusement subir pour qu’on puisse qualifier cet acte comme un acte de torture.
Il faut aussi noter que notre Cour Suprême à travers de ses jugements et décisions est venue préciser qu’il existe une différence entre la torture et un traitement inhumain ou dégradant. Par exemple, dans l’affaire de Veerasamy v/s The Commissionner of Police et Madhewoo/The State, la Cour a souligné que le ‘solitary confinement’ n’était qualifiable comme la torture.
En somme, je dirais que c’est l’intensité de l’acte et le but derrière qui définissent la torture et démarqueront cet acte des autres actes comme de la brutalité policière. Néanmoins, la brutalité policière peut également révéler de la torture, même si ce n’est pas nécessairement systématique.
Q : Quels sont vos commentaires sur les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux dévoilant des actes de torture subis par trois suspects entre les mains des policiers ?
R : Tout en étant conscient de la différence que je viens de vous expliquer plus haut, ces actes sont sans doute hautement condamnables.
La dignité humaine est un principe fondamental, qui est directement bafouée par ces actes. Donc, même si la nature de ces actes de brutalités policières et leur qualification restent à être déterminés, selon moi, ces actes sont inacceptables.
Il est bon de noter aussi que la dignité et la protection contre la nature sont considérés comme étant absolus, selon les principes des droits humains. Il ne peut y avoir aucune justification pour ces actes.
D’autre part, il faut aussi souligner que l’impact des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux dévoilant des actes de torture, peut-être très dérangeant pour la société en générale et surtout, pour la réputation de notre force policière.
Il ne faut surtout pas généraliser et stigmatiser notre force de l’ordre uniquement sur la base des actions de quelques officiers de police. Aussi, il est également important d’avoir leurs points de vue et d’enquêter dans la direction de l’utilisation des forces comme un moyen de travail pour eux ou tout simplement un tour de plaisirs pour certains, qui est sans doute très dangereux.
Q : Quelle est votre opinion sur la mise sur pied de la Commission Nationale des Droits de l’Homme ?
R : En ligne avec les recommandations dites ‘Paris Principles’, l’Etat mauricien tout comme d’autres pays ont mis sur pied des commissions nationales sur les droits humains.
L’aspect le plus important, selon ces recommandations, est l’indépendance que la Commission Nationale des Droits de l’Homme doit avoir pour faire son travail.
En effet, cette Commission a été créé par la ‘Protection of Human Rights Act’ de 1998 et elle opère dans un cadre légale spécifique. De ce fait, je pense que la Commission a fait un travail décent, surtout concernant la sensibilisation et l’éducation sur le sujet des droits humains.
Par contre, le potentiel de cette Commission est plus énorme et il est impératif qu’on le développe. Même s’il existe l’Independent Police Complaints Commission, qui est spécialisé dans la matière des brutalités policières, j’aurais bien aimé que la Commission soit un peu plus vocale et visible dans cette bataille, qui concerne directement la protection des plusieurs droits humains.
Q : Quelle est l’importance de cette Commission ? Serait-ce un éléphant blanc ?
R : Qualifier cette Commission d’éléphant blanc serait injuste. Il faut noter que la protection des droits humains pour les Mauriciens est un travail énorme que seulement la police ou le judiciaire ne peut pas faire d’une façon isolée.
La Commission reste une institution quasi judiciaire, qui a toute son importance. A travers de la documentation sur plusieurs aspects concernant les droits de l’homme, la Commission a sans doute fait un travail formidable depuis sa création. A titre d’exemple, les ‘annual reports’, rédigés par la Commission ont une valeur éducative et informationnelle qu’on doit utiliser comme une arme. De ce fait, pour moi, la Commission n’est pas un éléphant blanc mais plutôt un peu timide dans ses approches.
Q : Et quid sur l’Independent Police Complaints Commission ?
R : L’IPCC est une création relativement récente et je considère qu’il faut lui donner un peu de temps pour faire ses preuves.
Tout de même, c’est une institution qui a un but et des pouvoirs d’investigation bien précis qui peuvent grandement aider dans le combat des brutalités policières.
De plus, avant 2018, il existait une division qu’on appelait la Police Complaints Division sous l’égide de la National Human Rights Commission, qui enquêtait sur les cas des brutalités policières.
Or, après sa séparation de la Commission et son ‘re-styling’, l’IPCC a aujourd’hui l’opportunité d’abattre un travail formidable avec les ressources et l’expertise qu’il a à sa disposition.
Tout de même, j’ajouterais que son indépendance et une volonté politique générale de sa gestion seront des éléments essentiels qui détermineront sa réussite.
Il est également important de souligner que le dénouement des investigations faites par l’IPCC peut être servi par d’autres institutions comme le Bureau du Directeur des Poursuites Publiques (DPP) ou de l’Attorney General pour des poursuites ou pour les compensations d’après l’Independent Police Complaints Act de 2018.
Alors, ce lien entre l’IPCC et les autres institutions concernées doit être soigné et il est crucial que ces institutions travaillent toutes ensemble en grande collaboration.
Q : Selon vous faut-il revoir le fonctionnement de ces deux organismes ?
R : Je ne pense pas que c’est nécessaire de grandement revoir le fonctionnement de ces deux instances. Le but doit être de les faire travailler plus efficacement en toute indépendance et non pas de tout simplement changer ou revoir le fonctionnement.
Les lois, qui les régissent, sont déjà décentes avec toutes les provisions nécessaires pour qu’elles puissent fonctionner.
Je suis d’avis que ce serait une perte de temps et des ressources d’aller dans la direction de renouvellement de leur fonctionnement.
Je pense aussi que c’est à tout à fait normal que ces instances soient critiquées vu la nature du travail qu’elles doivent faire. A titre d’exemple, j’entends souvent dire qu’un policier ne peut pas enquêter sur un autre. De ce fait, les recommandations que l’IPCC va formuler après une enquête ne seront pas nécessairement crédibles.
Je suis tout à fait contre ce genre des critiques car je pense qu’avoir un policier dans l’équipe peut aider l’IPCC à mieux comprendre les nuances et la subtilité du fonctionnement de la police. Cela peut aider à mieux résoudre les cas des brutalités policières.
De toute façon, selon moi, c’est une présomption farfelue de dire qu’un ancien officier de police va essayer de protéger un autre qui est accusé des brutalités policières d’une façon automatique.
Q : Pensez-vous que ces deux organismes répondent aux attentes et aspirations de la population ?
R : Il faut commencer par savoir que c’est quoi exactement les attentes des Mauriciens, par rapport à ces deux instances.
Nos citoyens doivent reconnaitre que ces instances ont des mandats précis et également des pouvoirs bien définis. Par exemple, ces instances n’ont pas le pouvoir de punir ceux qui pratiquent les brutalités policières ou les tortures.
Tout ce qu’ils peuvent faire sont des enquêtes en toute indépendance et ensuite, passer le relais à d’autres institutions pour prendre des sanctions.
J’ai l’impression qu’on est souvent trop critique envers ces instances sans vraiment avoir une connaissance de leur fonctionnement.
Par contre, les gens, qui sont à la tête de ces deux instances, ont une grande responsabilité et leur travail va sans doute déterminer la réputation qu’elles vont jouir dans l’avenir.
Q : Quelles sont vos propositions pour empêcher les membres de la police d’utiliser la force illégalement ou d’autres méthodes repréhensibles ?
R : Je suis d’avis que d’abord, il faut établir un dialogue bien structurel et défini avec les membres de la force policière.
Trop souvent, on tire des conclusions hâtives sans avoir une connaissance de leur travail et également des difficultés qu’ils font face.
Donc, il faut savoir les raisons pour lesquelles les policiers utilisent la force, surtout si cela n’est pas nécessaire ou autorisé.
Il faut poser des questions critiques pour savoir si par exemple, les jeunes policiers sont tout simplement en train de suivre les plus anciens. Est-ce que par exemple, ils sont au courant de l’effet que les actes des brutalités policières ou des tortures ont sur les victimes et également sur leur propre réputation ? Est-ce que c’est vrai quand les policiers vous disent qu’ils n’ont pas le choix et que la violence est impérative contre ces victimes ? Tant de questions, parmi d’autres, qui doivent être répondu en utilisant une approche sociologique ou psychologique avant de comprendre toute cette histoire.
Donc, contrairement aux autres, je ne pourrais faire des recommandations ou propositions sans parler directement et sans avoir ces informations qui sont incontournables.
Q : Que faut-il inclure durant la formation pour conscientiser sur la question des droits de l’homme ?
R : Je suis d’avis que les gens, qui ont cette responsabilité de former les policiers, doivent d’abord essayer de voir comment cela se passe ailleurs ou dans d’autres pays où les actes des brutalités policières sont très rares, voire même inexistants. De là, il faut faire un tri, prendre tout ce qui peut être valable et applicable à notre système.
Pour être plus concret, les modes de formation, les qualifications exigées, les tests d’aptitude, des séances psychologiques pendant les cours de formation, l’utilisation de la technologie parmi d’autres, sont des aspects qui pourraient nous inspirer.
En somme, je dirais que la question n’est pas ce qu’on inclut durant la formation mais c’est beaucoup plus de revisiter la formation dans son ensemble
Q : Un mot de la fin …
R : Je suis une personne qui a entièrement confiance dans toutes les instances précitées et également, dans notre force policière. Sans eux, la protection des droits humains serait tout simplement impossible.
Cependant, les institutions et également les humains derrière doivent tous prendre leurs responsabilités et œuvrer en toute âme et conscience. Faute de quoi, les sanctions contre eux doivent également être sévères.