Les fromageries américaines ont du pain sur la planche pour faire accepter le lait cru
Vachement diffèrent : Des producteurs américains tentent d’imposer les fromages au lait cru en jonglant avec la réglementation hostile à ces produits et les idées reçues de la population
En Europe, on parle de méthode traditionnelle. De l’autre côté de l’Atlantique, on n’en parle tout simplement pas. Le fromage au lait cru représente un quasi-tabou aux Etats-Unis.
Avec ses vaches qui pâturent sur les pentes verdoyantes du massif des Appalaches, dans l’est des Etats-Unis, Meadow Creek Dairy n’est pas une fromagerie américaine comme les autres : tous ses produits sont à base de lait cru. La petite fromagerie familiale constitue une rareté sur un marché aux Etats-Unis dominé largement par le fromage pasteurisé et industriel.
Vêtues de salopettes bleues, Helen Feete et Ana Arguello s’affairent devant deux cuves de plusieurs centaines d’hectolitres à fabriquer deux des créations de la fromagerie. Helen Feete, qui a fondé l’exploitation avec son mari dans les années 1990, explique qu’il « n’y avait aucun modèle à suivre » au moment de se tourner vers la production de fromages – tant il existait aux Etats-Unis si peu d’exploitations à si petite échelle, choisissant de fabriquer des produits au lait cru.
Goût versus risques
La différence entre le lait pasteurisé et le lait cru, est la température à laquelle a été chauffé le premier, soit 63 °C durant trente minutes ou 72 °C durant quinze secondes. Pour ses partisans, les fromages au lait cru sont plus goûteux.
Liz Thorpe, une autrice américaine experte en fromages, estime qu’ils « capturent une certaine complexité et une originalité des saveurs qui n’est possible que quand le lait est non pasteurisé », la pasteurisation tuant la microflore. Mais pour ses détracteurs, cela représente surtout un risque que les bactéries et microbes dans le lait ne soient pas éliminés, et provoquent ainsi des pathologies parfois létales comme la salmonellose et la listériose.
L’exception des 60 jours
L’agence en charge de la réglementation alimentaire aux Etats-Unis, la FDA, a pour règle « la pasteurisation obligatoire pour le lait et tous les produits laitiers dans leurs emballages finaux et qui sont destinés à la consommation humaine directe ».
Cependant, depuis les années 1940, l’agence autorise la commercialisation de fromages à base de lait cru, si ceux-ci ont été vieillis pendant un minimum de 60 jours à des températures supérieures à 2 °C.
« Ce n’est pas tant un obstacle que quelque chose avec lequel nous devons composer pour concevoir nos fromages », explique Kat Feete, qui travaille depuis toujours avec ses parents et son frère sur l’exploitation de Meadow Creek Dairy. Le raisonnement de la FDA est qu’un tel laps de temps permet de tuer tout agent pathogène dangereux présent dans le lait.
La pâte molle en pâtit
L’inconvénient : impossible de voir apparaître dans les rayons de supermarchés des fromages à pâte molle non pasteurisés, dont la durée d’affinage est inférieure aux 60 jours nécessaires. « Il peut être frustrant parfois de ne pas pouvoir faire certains types de fromages », regrette Kat Feete. « Beaucoup de gens aimeraient pouvoir acheter un brie au lait cru ici ».
La plupart des fromages de Meadow Creek Dairy sont eux à pâte semi-ferme. Fabriqués de manière saisonnière, c’est-à-dire suivant l’alimentation des vaches, ils s’affinent dans les caves de la fromagerie, dans un environnement à la température et à l’humidité contrôlée.
L’un de leurs fromages maison star, le « Grayson » à la pâte semi-ferme, pourrait être comparé sur certains aspects à un reblochon des Alpes, et sur d’autres à un Maroilles du nord de la France.
« Idées fausses »
Meadow Creek Dairy et les autres producteurs de fromages au lait cru aux Etats-Unis sont également confrontés à une autre barrière : le consommateur américain peut être encore réticent à acheter un produit qu’il considère souvent comme peu sûr.
Beaucoup d’Américains « pensent que le fromage au lait cru est tout simplement illégal, et ce n’est pas vrai », explique Liz Thorpe, évoquant des « idées fausses »
L’autrice affirme s’échiner à ce que le grand public soit mieux informé que de tels fromages sont « sains, sûrs, et bons », et insiste notamment sur l’importance pour un acheteur de connaître l’origine d’un fromage.
Les mentalités évoluent
Aux débuts de Meadow Creek Dairy, « on avait un certain mal à éduquer le marché, car il y avait cette perception que ce que nous faisions n’était pas très sûr », raconte Kat Feete depuis la fromagerie qui surplombe les champs où leurs veaux pâturent. Mais selon elle, les mentalités ont commencé à changer aux Etats-Unis.
« Je pense que les gens commencent vraiment à accepter que le fromage au lait cru soit sûr et un bon moyen pour un petit producteur de fromages fermiers de faire du fromage ».