Espions russes et suprématistes derrière le mystère des lettres piégées en Espagne ?



Selon une enquête du New York Times publiée dimanche, le Mouvement impérial russe, groupuscule suprématiste, est accusé d’avoir participé à l’organisation d’une campagne d’envoi de lettres piégées à des personnalités espagnoles fin 2022. Une opération “terroriste” qui aurait été facilitée par le GRU, le service militaire russe de renseignement, affirme le NYT. Pour le quotidien, il pourrait s’agir d’un “coup de semonce”. Pas si sûr.

Ce pourrait être le croisement entre un film catastrophe et un nouvel épisode de James Bond : les services secrets russes qui poussent des mouvements suprématistes à perpétrer des attaques terroristes en Europe.

C’est pourtant la situation décrite par le New York Times dans une enquête publiée dimanche 22 janvier consacrée aux coulisses d’une récente campagne de lettres piégées envoyées à diverses personnalités espagnoles de premier plan, dont le Premier ministre, Pedro Sánchez.

Au moins six lettres piégées et un blessé

Des agents du GRU – le principal service russe de renseignement militaire – auraient utilisé des membres du groupuscule paramilitaire ultranationaliste et suprématiste russe, Mouvement impérial russe, pour envoyer au moins six lettres piégées entre fin novembre et début décembre 2022, d’après des officiels américains et espagnols interrogés par le New York Times sous couvert d’anonymat.

Les lettres n’ont pas fait de victime, excepté un employé de l’ambassade d’Ukraine qui a été blessé aux doigts lors de l’explosion.

Un lien avec la guerre en Ukraine était rapidement devenu la piste principale des enquêteurs espagnols en raison des cibles choisies par les terroristes. Outre la résidence du Premier ministre, le ministère de la Défense, l’ambassade des États-Unis et celle d’Ukraine ont également reçu des plis explosifs. Instalaza, une entreprise d’armement qui a fourni des lance-grenades à l’Ukraine, a également été visée par cette campagne qualifiée de “terroriste” par Madrid.

Les autorités espagnoles se sont rapidement rendu compte que des membres hauts placés dans l’organigramme du Mouvement impérial russe se trouvaient en Espagne au moment où les lettres ont été envoyées.

Fondé en 2002 à Saint-Pétersbourg; ce groupuscule décrit comme ultra-nationaliste, raciste, antisémite, et qui prône le retour d’un tsar à la tête de la Russie, a été le premier mouvement d’extrême droite a avoir été inscrit sur la liste américaine des organisations terroristes en 2020.

Il s’est déjà illustré à plusieurs reprises par des actes de violences, que ce soit en 2014 en Ukraine ou ensuite en Libye et en Syrie. “Après l’invasion en Ukraine, le Mouvement impérial russe a voulu devenir le fer-de-lance d’une internationale suprématiste en cultivant des contacts en Europe et aux États-Unis. Le groupe a baptisé ce travail de réseautage ‘la dernière croisade’”, écrit le Center for International Security and Cooperation de l’Université de Stanford qui tient à jour un répertoire des principaux groupes suprématistes transnationaux.

Le Mouvement impérial russe impliqué dans d’autres attentats

Le Mouvement impérial russe a aussi ouvert deux centres d’entraînement paramilitaire pour des militants de tous les pays. Deux extrémistes suédois, condamnés en 2017 pour avoir posé des bombes dans un café littéraire et des abris pour réfugiés, y avaient été formés un an plus tôt.

L’implication de ces Russes d’extrême droite dans une campagne terroriste à l’international n’est donc pas si surprenante. Mais de là à y voir la main du GRU ? Plus précisément, les autorités américaines soupçonnent des agents de l’Unité 29155 – qui forment une sorte d’équipe d’élite d’assassins du GRU – d’avoir été aux commandes.

“Il y a beaucoup de rumeurs et rien d’établi avec certitude autour des liens entre les groupuscules russes d’extrême droite et les services de renseignement. On suppose qu’un groupe comme le Mouvement impérial russe dispose de relais dans le monde politique et même au sein de l’administration présidentielle. C’est aussi typiquement le genre d’organisation susceptible de pouvoir se laisser influencer par le GRU pour ce genre d’opérations”, estime Mark Galeotti, spécialiste britannique des services russes de renseignement et directeur de Mayak Intelligence, un cabinet de conseil sur les questions de sécurité en Russie.

Ce serait aussi un modus operandi déjà utilisé par les espions russes. “Ils ont fait appel à des organisations criminelles pour agir à leur place dans différents pays en Europe par le passé”, souligne Dan Lomas, spécialiste des services de renseignement à l’Université Brunel dans la banlieue de Londres. En 2011, par exemple, les services de renseignement tchèque s’alarmaient des contacts établis entre les espions russes et crimes organisés dans le pays.

Le but “serait d’envoyer un signal tout en rendant très difficile l’attribution au GRU”, résume Dan Lomas. Dans le cas espagnol, l’implication du Mouvement impérial russe fait penser à une opération téléguidée depuis Moscou, mais rien ne permet d’accuser formellement les services russes de renseignement.

Le GRU en maître marionnettiste ?

Si le GRU est réellement lié à cette campagne, cela remet sur le devant de la scène “l’une des principales craintes de la communauté du renseignement au début de la guerre : que la Russie utilise ses services de renseignement pour lancer des campagnes de déstabilisation contre l’Occident”, souligne Mark Galeotti.

Moscou s’en était jusqu’à présent abstenu. “Il y a une volonté réciproque aux États-Unis et en Russie pour éviter une trop forte escalade des tensions”, explique l’expert britannique. Et des attentats terroristes sur le sol européen ou des cyberattaques contre “des infrastructures critiques entraîneraient forcément une riposte occidentale”, affirme Mark Galeotti.

Les lettres piégées pourraient être “un coup de semonce”, estime Nathan Sales, un ex-responsable des questions de contre-terrorisme durant la présidence de Donald Trump, interrogé par le New York Times.

Les discussions autour de l’envoi de chars d’assaut à l’Ukraine auraient pu pousser le Kremlin à se montrer plus entreprenant… sans aller trop loin. “C’est une manière de dire qu’on est capable d’agir au cœur de l’Europe sans pour autant lancer une attaque trop destructrice”, analyse Dan Lomas. Pour lui, l’idée serait de “donner des arguments à ceux qui en Europe veulent limiter le soutien à l’Ukraine. Ils peuvent dorénavant dire, ‘regardez il y a un risque réel pour nous’”.

Reste que le choix du type d’opération – des colis piégés – peut surprendre pour le GRU, une agence qui n’a jamais brillé par sa retenue, que ce soit en tentant d’empoisonner l’ex-agent double Sergueï Skripal en 2018 ou en participant à une tentative de coup d’État proserbe au Montenégro en 2016, estime Mark Galeotti. L’Espagne n’est pas non plus un symbole du soutien occidental à l’Ukraine “et pour faire passer un message, il aurait été plus efficace de viser un pays comme la Pologne”, estime ce spécialiste.

Une autre explication serait que le GRU ne peut pas faire actuellement beaucoup plus. Les services russes de renseignement “évoluent dans un environnement très difficile pour eux actuellement en Europe où ils sont surveillés de très près”, note Mark Galeotti.

Posted by on Jan 24 2023. Filed under Monde. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0. You can leave a response or trackback to this entry

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