L’inoxydable réflexe Maginot : Sciences Po face à ChatGPT
La direction de Sciences Po a annoncé que ses élèves avaient désormais l’interdiction d’utiliser ChatGPT, l’IA conversationnelle mise au point par OpenAI.
Les réactions au déboulement de ChatGPT sont symptômatiques de la façon dont les élites françaises réagissent face à l’innovation. Il est certes de bon ton de ricaner sur les œufs de cheval dont ChatGPT nous invite à nous méfier, au cas où l’on songerait en faire une omelette. Ce logiciel est en réalité révolutionnaire. Ceux qui l’ont testé sont bluffés par sa capacité de synthèse, la qualité du rédactionnel, sa rapidité. A l’évidence, il s’agit là d’une innovation de rupture dans le champ de l’apprentissage, de la formation, de la gestion des données. D’où la question : qu’en faire ?
De manière pavlovienne, les mêmes recettes éculées sont ressorties du tiroir. « Faisons donc tourner les logiciels antiplagiats ! » Les plus malins parmi les plagiaires sachant parfaitement contourner l’obstacle, généralement seuls les imbéciles se laissent attraper, notamment ceux recourant à des « nègres », soit mal payés, soit incompétents. L’efficacité de ce premier contre-feu est donc nul.
Autre recette, l’interdiction : « Jeudi 26 janvier, le directeur de la formation et de la recherche Sergeï Guriev informait que l’usage de ChatGPT devenait « pour l’instant strictement interdit lors de la production de travaux écrits ou oraux par les étudiantes et étudiants ». Et ce, « sous peine de sanctions qui peuvent aller jusqu’à l’exclusion de l’établissement voire de l’enseignement supérieur» [1]. Ainsi a-t-on appris qu’en France, Sciences-po aurait été l’un des premiers établissements d’enseignement à restreindre l’usage de ChatGPT.
Surtout ne pas miser sur un usage intelligent de cette technologie d’automatisation, mais l’interdire ! Mais qu’a donc à perdre l’Education nationale à intégrer ChatGPT à sa palette pédagogique ? Si notre enseignement national se distinguait par l’excellence de son produit et de ses résultats, cela se saurait. Or tel ne semble pas être le cas. « Education nationale : spectaculaire dégradation de la satisfaction des Français »[2], titrait les Echos fin janvier. Et tous les benchmarking internationaux (PISA, TIMSS, PIRLS) attestent, année après année, que rien ne va plus dans l’immense machine éducative française.
Bref, il est urgent de reconsidérer notre manière d’enseigner et, avant de repousser ChatGPT, essayons de voir en quoi, il peut être de bon secours. Par avance, parions que les élèves et étudiants sauront en tirer parti, eux que l’intelligence artificielle, ni n’effraie, ni ne rebute. ChatGPT devrait permettre de revoir le processus d’évaluation des élèves et des étudiants, les amener à s’orienter non sur la régurgitation de cours appris par cœur, mais sur leur capacité à poser des questions, à se déplacer dans un océan de données.
Et, pour revenir à Sciences Po, pourquoi ne pas envisager une formation à cet algorithme, une formation destinée aux enseignants ? Par crainte d’apparaître décalés par rapport à leur environnement d’enseignement, sans doute que ces derniers ne se bousculeraient-ils pas. La peur du ridicule, propre à une élite scolaire convaincue à vie de sa supériorité intellectuelle fondée sur un bachotage scolaire en formation initiale, n’incite guère en effet au dévoilement de ses propres limites cognitives. Mais la finalité de toute formation, qu’elle se situe au niveau primaire, secondaire ou supérieure, est-elle de prioriser le confort des enseignants ou bien d’aider les jeunes, les préparer le mieux possible à leur avenir professionnel ?