Interview | Me Sunil Bheeroo | avocat: « Nous assistons à la création d’une psychose exagérée sur la FCC »
- Il ne faut surtout pas oublier que dans un passé récent, l’île Maurice a été placée sur une liste noire en raison de ses manquements.
- Le bureau du DPP est une institution très importante aujourd’hui et le sera encore demain.
- Oui à une Cour Constitutionnelle pour réduire la charge de travail sur la Cour Suprême et non pour contester les projets de loi dès qu’il y a une polémique.
Les débats autour de la Financial Crimes Commission font rage au Parlement depuis mardi et se sont poursuivis vendredi après-midi dans l’hémicycle. Depuis la circulation de ce projet de loi, diversement commenté, beaucoup de choses ont été dites en bien, tandis que d’autres ont cherché à diaboliser la Financial Crimes Commission. Est-elle anticonstitutionnelle ? Est-ce une loi importante pour protéger les intérêts du pays ? Nous avons demandé l’opinion de Me Sunil Bheeroo, un juriste expérimenté, pour obtenir des réponses.
Le Xournal (LX) : C’est l’actualité du moment. Le projet de loi sur la Financial Crimes Commission présentée par le Premier ministre mardi au Parlement est défendue bec et ongles par le gouvernement, alors que l’opposition parlementaire et extraparlementaire affirme que ce projet de loi est néfaste pour le pays. Quelle est votre position en tant que juriste ?
Sunil Bheeroo (SB) : Je pense que ce projet de loi est arrivé devant le Parlement avec beaucoup de retard. Si vous lisez le rapport de la Commission d’enquête sur le trafic de drogue, vous verrez que c’est l’une des recommandations de l’ancien juge Paul Lam Shang Leen, à savoir regrouper les institutions sous une seule entité. Il ne faut surtout pas oublier que dans un passé récent, l’île Maurice a été blacklisted en raison de ses manquements dans le secteur des services financiers, et il était nécessaire d’introduire de nouvelles réglementations afin de se conformer aux normes internationales. Vous pouvez imaginer que cela a énormément affecté la réputation de Maurice dans le monde des affaires, et maintenant la Financial Crimes Commission agira de manière à redorer le blason du pays, car une nouvelle évaluation des institutions internationales est attendue et si rien n’est fait, nous risquons de perdre beaucoup en termes d’investissements financiers.
LX : Ce n’est pas du tout le discours de l’opposition, en êtes-vous conscient ?
SB : Oui ! J’ai entendu beaucoup de choses être dites à propos du projet de loi sur la Financial Crimes Commission. Par exemple, on dit que le pouvoir du DPP sera réduit, mais il faut réaliser que la Financial Crimes Commission interviendra uniquement dans les cas de crimes financiers. Le DPP conservera donc tout son pouvoir en matière pénale et sur les affaires civiles. Pour moi, le projet de loi sur le FCC est une très bonne chose et il est injustement critiqué. Beaucoup ont tendance à oublier que, tout comme le MSM, le Parti Travailliste a également proposé la création d’une Financial Crimes Commission dans son manifeste électoral.
LX : Aidez-nous à comprendre. Qu’y a-t-il d’antidémocratique ou d’anticonstitutionnel dans ce projet de loi ?
SB : Comment est-ce que ce projet de loi pourrait être antidémocratique je demande à comprendre. Il n’y a absolument rien de nouveau si ce n’est que les institutions se retrouveront ‘under one umbrella’. Maintenant anticonstitutionnel ceux qui disent cela doit venir dire quelle provision de la loi qui l’est. Le DPP gardera son plein pouvoir comme le dit la section 142 de ce projet de loi et s’il y a des abus de la FCC nous aurons toujours recours au judiciaire. Je ne comprends donc pas la campagne malveillante des politiciens de l’opposition. Il y a maintenant un panel d’avocat qui contestera devant la Cour Suprême la constitutionalité de certaines clauses, on verra.
LX : Ivan Collendavelloo a cité des exemples lors de son intervention pour dire que le DPP n’est pas ‘above the law’ ?
SB : La question ne se pose pas. Le Privy Council en a statué dans une affaire passée. ‘No one is above the law.’ Que ce soit l’actuel DPP ou un autre, il faut savoir faire la différence entre la personne et la fonction. Le bureau du DPP est une institution très importante aujourd’hui et le sera encore demain.
LX : Le fait que le nouveau Directeur Général soit nommé par le Premier ministre après consultation avec le Président de la République et le Leader de l’Opposition ne vous dérange pas ?
SB : Le Premier ministre a été élu démocratiquement. C’est la population qui l’a choisi, et ses choix reflètent ceux de la population. ‘Whoever the Prime minister appoints, will be the population’s choice.’ C’est la démocratie, c’est ainsi que ça fonctionne.
LX : Le moment est-il venu d’introduire une Constitutional Court à Maurice ?
SB : À mon avis, oui, à condition que la Cour Constitutionnelle devienne une branche de la Cour Suprême, comme la Cour de la famille ou autre. C’est pour réduire la charge de travail de la Cour Suprême et non pour contester les projets de loi dès qu’il y a une polémique. D’ailleurs, on ne peut pas contester un projet de loi, il faut qu’il soit voté par le Parlement et ratifié par le Président de la République avant que les personnes puissent contester une section ou plusieurs. Je pense que dans un sens démocratique, la Cour Constitutionnelle serait une bonne chose pour rendre justice plus rapidement en allégeant la charge lourde sur la Cour Suprême.
LX : Revenons sur quelque chose sur quoi l’opposition insiste actuellement et qui se trouve dans les dispositions du projet de loi sur la Commission des Crimes Financiers. Nous parlons ici de la surveillance électronique des personnes. Au Parlement, Arvin Boolell, chef de file du PTr, dit que les gens seront surveillés même aux toilettes. Y a-t-il des raisons d’avoir peur ?
SB : J’ai essayé de trouver dans ce projet de loi ce qui pourrait justifier des craintes chez les gens. Je n’ai rien trouvé. ‘Does it make sense’ que le gouvernement surveille tout le monde ? La Data Protection Act protège les données et la constitution garanti la liberté d’un individu. Si une personne a fauté, il est tout à fait normal qu’il soit sous surveillance mais il est malhonnête de dire que tout le monde le sera. L’opposition veut simplement créer une psychose exagérée pour faire peur à la population.
LX : Changeons de sujet, la politique active vous intéresse et votre nom est pressenti pour le numéro 16, du MSM… Êtes-vous actuellement sur le terrain ?
SB : Oui, je suis une personne de terrain, je l’ai toujours été. Je suis membre du Rotary de Floréal et j’aime m’impliquer socialement, donc il est normal que je sois sur le terrain. Sunil Bheeroo est une personne toujours prête à aider les autres.
LX : D’accord, mais politiquement, quelle est votre observation ?
SB : Je vais être honnête avec vous, il y a beaucoup de travail à faire. Je pense qu’à partir du début de l’année prochaine, il faudra augmenter notre présence sur le terrain et être plus agressifs dans nos actions.
LX : Terminons sur une note d’avenir. Que souhaitez-vous pour 2024 ?
SB : Je souhaite aux habitants du numéro 16 un joyeux Noël et une bonne et heureuse Année 2024. L’année prochaine sera une année où le système judiciaire sera au centre de tous les débats. Il faut continuer à croire en nos institutions et ne pas faire comme ceux qui disent avoir confiance dans le Privy Council. Mais, lorsque les résultats ne sont pas en leur faveur, ils n’y croient plus et sont les premiers à critiquer. L’île Maurice est un pays prospère qui se positionne très bien dans le monde et il ne faut pas laisser les personnes mal intentionnées nuire au pays. Les services financiers sont un pilier important de notre économie et c’est en assurant la stabilité que nous pourrons attirer davantage d’investisseurs.