Oliver Thomas: Président du Centre Nelson Mandela pour la culture créole
« Une véritable démocratie nécessite une diversité d’idéologies »
- « Mon engagement en politique n’est pas motivé par la recherche de popularité, mais par la volonté de contribuer de manière concrète à l’avancement de notre société ».
- « Le bilan d’un gouvernement offre une fenêtre sur sa capacité à répondre aux besoins de ses citoyens, à surmonter les défis et à mettre en œuvre des politiques bénéfiques pour le bien-être général ».
- « Je suis convaincu que pour véritablement élever le débat public, il est essentiel d’éviter les excès et l’arrogance ».
Jeune, visionnaire et déterminé, Oliver Thomas, Président du Centre Nelson Mandela pour la culture créole et africaine, nous accorde cette semaine un entretien pour parler de son choix politique, de ses convictions et de la situation générale dans le pays.
Le Xournal (LX) : Candidat indépendant en 2019, vous avez obtenu un score honorable dans la circonscription no 20. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Oliver Thomas (OT) : Je qualifierais cette expérience d’exceptionnelle. Il est souvent difficile de mesurer l’impact qu’une participation électorale peut avoir sur la vie d’un individu. À l’âge de 26 ans, en me présentant comme candidat indépendant, j’ai démontré une volonté de m’engager dans un processus complexe et exigeant, malgré les nombreux défis et incertitudes. Cette aventure s’est avérée être une immersion dans des eaux inexplorées, marquées par des courants imprévisibles, me forçant à apprendre et à m’adapter dans un environnement très incertain. Malgré l’issue non favorable, cette épreuve m’a permis de grandir et d’acquérir une résilience notable. Maintenant âgé de 31 ans, avec du recul, je peux affirmer que cette expérience m’a doté d’une force de caractère. Le parcours depuis cette élection jusqu’à aujourd’hui a été jonché de leçons précieuses, non seulement sur le plan professionnel mais aussi personnel. Le fait d’avoir entrepris cette démarche ambitieuse à un âge relativement jeune a été une source d’enseignements inestimables, qui continuent de façonner ma résilience et ma détermination face aux défis.
LX : Êtes-vous toujours en contact avec l’électorat de cette circonscription et quelle est votre analyse de la situation politique actuelle ?
OT : Depuis ma candidature en 2019, où je suis devenu une nouvelle voix influente sur les réseaux sociaux, ma connexion avec l’électorat de la circonscription no 20 s’est significativement renforcée. Mon engagement numérique initial m’a permis d’établir une présence digitale marquante, mais c’est mon adhésion au MSM qui m’a véritablement initié au militantisme traditionnel. Bien que cette transition m’ait offert une plateforme plus large, l’absence d’un rôle parlementaire a, à mon sens, bridé mon potentiel d’impact.
Aborder la dynamique politique actuelle exige plus qu’une simple esquisse. En 2019, porté par une vague d’espoir de renouveau, mon entrée dans l’arène politique a généré une confiance peut être exagérée entre l’électorat et moi. Cette période a vu l’essor d’un idéal éco-socialiste, principalement chez les jeunes, malgré le décalage avec la réalité d’une population vieillissante à Maurice. Cependant, l’ambition de réformer le système s’est heurtée à la complexité des processus législatifs et à une certaine réticence de l’électorat face à des changements d’une telle ampleur.
Le paysage politique mauricien est dominé par des partis établis de longue date, tels que le MSM, le PTr, le MMM et le PMSD, qui, ensemble, cadrent le débat public et marginalisent rapidement les voix émergentes. Le MMM, malgré son statut de bastion historique, s’essouffle sous le poids de l’âge de ses leaders et de son éloignement du pouvoir. Le PTr, quant à lui, peine sous le fardeau des controverses entourant son leader, malgré une base solide héritée de ses fondateurs. Le PMSD joue un rôle moins central mais reste un acteur crucial dans l’équilibre politique, notamment en milieu urbain.
Face à ces réalités, le MSM se distingue par une assise forte dans de nombreuses circonscriptions et par un leadership jeune, consolidant ainsi son bilan face aux électeurs. Cette position de force est difficilement ébranlable, même avec l’alliance des trois principaux partis de l’Opposition.
La perte d’influence de l’Opposition dans les zones urbaines reflète une désillusion prolongée, exacerbée par une lutte électorale qui dérive souvent vers une guerre d’information, éloignant le processus démocratique de la rationalité et des véritables enjeux. C’est une situation regrettable pour ceux qui cherchent à améliorer le système.
Malgré une érosion de l’opinion publique et des critiques, le MSM conserve une position prédominante, fortifiée par une gestion efficace de la crise post-COVID-19 et une stratégie ancrée dans la réalité des faits plutôt que dans la spéculation.
LX : Votre adhésion au MSM a fait beaucoup de bruits. Avez-vous des regrets ?
OT : Mon adhésion au MSM a indéniablement marqué un tournant significatif dans mon engagement politique. Ce choix, bien que controversé, a ouvert des portes jusque-là inaccessibles en tant qu’indépendant, me conférant une plateforme et des ressources essentielles pour initier un changement concret. Le rôle que j’ai joué en tant que président du Centre Nelson Mandela pour la culture créole, illustre parfaitement ce point. Grâce à cette position, j’ai pu non seulement promouvoir activement l’héritage et les valeurs de la culture créole et des descendants africains, mais également travailler à l’intégration de ces aspects dans le tissu social et culturel de notre nation.
Grâce à mon intégration au MSM, j’ai pu établir des relations directes avec divers ministères, améliorant ainsi la diffusion et l’adoption d’idées. Ces interactions avec le gouvernement ont été essentielles pour faire avancer des initiatives.
Je ne perçois pas ma décision de rejoindre le MSM comme un regret, mais plutôt comme une démarche nécessaire pour dépasser le cadre des débats idéologiques et contribuer à des améliorations tangibles dans la vie quotidienne des citoyens. Mon engagement a toujours été motivé par la volonté d’améliorer le quotidien des gens.
Cependant, je suis pleinement conscient que les critiques incessantes sont le prix de cet engagement. Elles reflètent une perte de confiance de la part de certains segments de la population, ce qui est regrettable. La difficulté n’est pas tant d’accepter les choix individuels, mais de reconnaître et d’accepter que les gens évoluent et transcendent leurs positions initiales. Venant d’un milieu modeste et ayant initialement adopté un discours radical, j’ai appris à évoluer et à reconsidérer certaines de mes positions après avoir mieux compris les enjeux. Je suis convaincu que le parlement devrait refléter cette capacité à l’évolution, incarnant des êtres humains dans toute leur complexité et leur capacité à changer.
LX : Beaucoup pensent qu’un jeune politicien ayant fait ses preuves comme vous devrait avoir le droit de choisir son parti politique, à l’exception du MSM. Que répondez-vous à cela ?
OT : Lorsqu’on évoque le parcours d’un jeune politicien, la question du choix de son affiliation politique est souvent soulevée, avec une réserve particulière concernant le MSM. À cela, je souligne l’importance de comprendre le contexte dans lequel un parti au pouvoir évolue. Contrairement à l’Opposition, qui peut se permettre de privilégier la popularité de ses prises de position sans en subir directement les conséquences, un parti au pouvoir est confronté à des dilemmes complexes. Ces enjeux, qu’ils soient économiques ou sociaux, exigent des décisions qui ne sont pas toujours populaires, mais qui sont nécessaires pour le bien-être à long terme de la nation.
À Maurice, avec sa petite population, l’accès au parlement est plus direct que dans des pays plus peuplés. Cette proximité entre les élus et les électeurs facilite la critique, transformant la politique en une arène où chaque décision est scrutée. Cela explique pourquoi les Mauriciens, participants actifs de cette culture politique, ont tendance à critiquer le parti au pouvoir, une tendance amplifiée par l’omniprésence des réseaux sociaux. Ces plateformes numériques encouragent un esprit critique généralisé envers le gouvernement, notamment chez les jeunes, plus influencés par l’apparence que par les enjeux profonds, trouvant un écho dans l’Opposition qui n’a pas les mêmes responsabilités de gouvernance.
Cependant, choisir de s’engager avec le MSM ne devrait pas être considéré comme un paradoxe pour un jeune politicien. C’est un choix conscient de s’attaquer aux défis réels de notre société, reconnaissant que la gouvernance implique souvent des décisions difficiles qui vont au-delà de la quête de popularité.
LX : Comment décririez-vous le leadership de Pravind Jugnauth ?
OT : Le leadership de Pravind Jugnauth lors de son dernier mandat se caractérise par une résilience remarquable face aux défis locaux et internationaux. La crise du COVID-19, le conflit en Ukraine, les cyclones et les fluctuations des prix des biens essentiels ont mis à l’épreuve notre pays dans des circonstances difficiles. Malgré ces crises, Pravind Jugnauth est resté calme et constant dans son approche.
En tant que petit État insulaire, Maurice n’a pas été épargnée par ces problématiques mondiales. Cependant, la vision de Pravind Jugnauth dépasse la recherche de popularité ou d’image. Il se positionne comme un visionnaire, évaluant sa contribution sur la solidité de son bilan. Son engagement envers les citoyens se reflète dans son credo « ziz nu lor nu travay », démontrant son sérieux et sa détermination.
En plus de gérer les crises, Pravind Jugnauth a mis en place des mesures sociales importantes, comme l’augmentation du salaire minimum et de la pension universelle, malgré les difficultés économiques. Ces initiatives montrent sa volonté de soutenir les couches les plus vulnérables de la société et illustrent les valeurs fondamentales de son leadership.
LX : Vous avez fait preuve d’élégance et de calme dans votre intervention sur Radio-Plus la semaine dernière. Serait-ce une nouvelle manière de faire la politique et la démocratie sans tomber dans les excès ou l’arrogance ?
Je vous remercie pour ces encouragements. Avec le temps et l’expérience, j’ai acquis une certaine maturité qui me pousse à adopter une approche plus réfléchie et nuancée de la politique. Je suis convaincu que pour élever le débat public, il est essentiel d’éviter les excès et l’arrogance
LX : Sur les réseaux sociaux, certains internautes disent que vous vous êtes « sauvé» à un moment donné. Pouvez-vous clarifier cet incident ?
OT : Jean-Luc Emile de Radio Plus m’avait contacté le matin de l’émission pour une présence de 17h à 19h. Cependant, étant déjà engagé en tant que responsable régional de la circonscription no 20, j’étais obligé de respecter cet engagement, limitant ma disponibilité à Radio Plus de 17h à 18h uniquement. J’ai informé l’animateur de cette contrainte, et il l’a acceptée. Il a même précisé la situation aux auditeurs en début d’émission.
Cette explication souligne l’importance d’avoir tous les faits avant de porter un jugement.
LX : Après tous les coups que vous avez encaissés sur les réseaux sociaux par les “haters”, qu’avez-vous ressenti ?
OT : Mon engagement en politique repose sur la volonté de contribuer concrètement à l’avancement de notre société, pas sur la recherche de popularité. Face aux critiques et attaques personnelles des “haters” sur les réseaux sociaux, j’ai choisi d’agir et de contribuer positivement.
Je reconnais avoir fait face à un début difficile, avec incompréhension et commentaires blessants. Il est important de distinguer la critique constructive, qui m’a permis de mûrir et d’améliorer mon approche politique, des commentaires destructeurs. Ces derniers m’ont conduit à réfléchir sur la place des jeunes en politique. Bien que nous puissions avoir des divergences d’opinions politiques, les attaques personnelles que j’ai subies sont inacceptables. Les détracteurs doivent comprendre que de telles attitudes découragent les jeunes politiciens, quel que soit leur parti.
Une véritable démocratie nécessite une diversité d’idéologies. C’est à travers cette diversité que la richesse d’un pays se mesure. Les expériences négatives sur les réseaux sociaux m’ont renforcé et m’ont incité à plaider pour un espace politique plus inclusif et respectueux, où la diversité des idées contribue au progrès collectif.
LX : Si vous êtes candidat aux élections générales demain, quel type de politicien seriez-vous pour vos électeurs ?
OT : Si je me présente aux élections générales demain, je m’engage à être un politicien à l’écoute de mes électeurs, ouvert et attentif à leurs réalités. Ayant grandi dans une famille modeste, je comprends les défis auxquels de nombreuses familles mauriciennes font face. Cette expérience m’a préparé à appréhender et répondre aux problématiques sociales de notre communauté.
Fort de huit ans d’expérience politique, ma résilience témoigne de ma détermination à défendre des causes justes. Mon parcours illustre ma persévérance et mon engagement envers le bien-être de nos concitoyens. En tant que politicien, mon objectif principal sera de traduire cet engagement en actions concrètes, en veillant à ce que les voix de mes électeurs soient entendues et leurs besoins pris en compte.
LX : Quelle est votre opinion sur les niveaux des débats politiques surtout de la campagne « nanier pa bon » à Maurice ?
OT : Critiquer est un droit démocratique fondamental, mais l’engagement politique va au-delà de l’expression des griefs. Il s’agit de participer activement à la vie publique, de proposer des solutions, et de s’impliquer dans les initiatives visant à améliorer notre société. Cet engagement peut prendre diverses formes, depuis le vote jusqu’à la participation à des campagnes, en passant par le dialogue avec les représentants élus ou même l’entrée en politique.
Je crois fermement que pour avoir une démocratie dynamique et réactive, elle a besoin de citoyens engagés, prêts à contribuer de manière positive. Ainsi, au lieu de rester en marge et de se limiter à la critique, j’encourage chacun à prendre part activement au débat politique, à partager ses idées et à travailler ensemble pour le bien commun. C’est en unissant nos efforts que nous pouvons véritablement façonner l’avenir de Maurice.
LX : En tant que Président du conseil d’administration du Centre Nelson Mandela vous disiez en 2021 vouloir contribuer à l’avancement de la cause Kreol à Maurice. Quel est votre bilan ?
OT : Depuis ma prise de fonction en tant que Président du conseil d’administration du Centre Nelson Mandela en 2021, nous avons mis en place plusieurs initiatives pour promouvoir la culture africaine et créole à Maurice. Des ateliers éducatifs ont sensibilisé les jeunes à leur riche héritage culturel, des expositions ont mis en valeur l’art africain et créole, et des festivals culturels ont renforcé l’identité culturelle de la communauté. Nous avons également établi des collaborations internationales pour enrichir notre compréhension de la culture africaine et créole, tout en partageant la nôtre avec le monde.
Malgré ces avancées, la pleine reconnaissance et intégration de la culture créole dans la société mauricienne nécessite encore des efforts. Nous continuons à travailler pour valoriser et célébrer pleinement la diversité de notre patrimoine.
LX : Beaucoup a été dit sur les travaux parlementaires. Quel regard portez-vous sur ce qui se passe dans l’hémicycle ?
OT : La qualité des discussions parlementaires a un impact direct sur la perception de la politique par le public et sur la confiance qu’il accorde à ses élus. Je souhaiterais voir des débats plus constructifs et de haut niveau au sein de l’hémicycle, en évitant les attaques personnelles qui n’ont pas leur place au Parlement. Chaque député doit pleinement comprendre l’importance de son rôle, qui est de discuter des sujets cruciaux pour la population. Idéalement, les représentants devraient être capables de transcender leurs affiliations politiques pour se concentrer sur les enjeux pertinents dans l’intérêt supérieur de tous.
LX : Nous sommes dans une année électorale. Pourquoi est-ce que le peuple doit soutenir Pravind Jugnauth et l’équipe gouvernementale selon vous ?
OT : Le soutien à Pravind Jugnauth et à l’équipe gouvernementale devrait se baser sur leur bilan. Il est important que la population mauricienne prenne en considération les réalisations concrètes et le développement réalisé jusqu’à présent. Les décisions électorales doivent être basées sur des critères objectifs pour garantir le bien-être général.
LX : Le mot de la fin.
OT : En guise de conclusion, je souhaiterais évoquer la vision de Platon sur les opinions pour éclairer ma position lorsqu’il m’a été reproché de ne pas exprimer d’opinion sur le plateau d’un journal concernant un projet routier d’une valeur de 300 millions de roupies, alors que je ne possède pas d’expertise en ingénierie. Platon nous enseigne que l’opinion se situe entre la connaissance véritable et l’ignorance. Elle peut souvent être trompeuse et éloignée de la réalité, surtout lorsqu’elle est basée sur des perceptions limitées ou des informations partielles.
Dans le contexte de ce projet routier spécifique, mon hésitation à émettre une opinion définitive était enracinée dans une reconnaissance humble de mes limites et dans un désir de ne pas substituer des perceptions personnelles à l’expertise technique.
J’ai choisi la prudence, reflétant une approche philosophique qui valorise la connaissance authentique sur la spéculation.