Pèlerinage du Père Laval : 160 ans de ferveur, de piété et de dévotion à l’apôtre des pauvres



Plus qu’un symbole à Maurice, le Bienheureux Jacques-Désiré Laval fait l’objet d’une vénération qui a depuis longtemps dépassé le cadre de la religion catholique. À quelques heures de la procession annuelle vers son caveau à Sainte-Croix, depuis hier dimanche 8 et ce lundi 9 septembre 2024, nous retraçons le parcours de celui qu’on surnomme « l’apôtre des pauvres ».

Jacques-Désiré Laval est né le 18 septembre 1803 à Croth, en France, dans une famille d’agriculteurs assez aisée. Il a été baptisé immédiatement après sa naissance, tout comme son frère jumeau Michel, mais ce dernier est décédé quelques jours plus tard. Le père de Jacques-Désiré Laval, lui aussi prénommé Jacques, était un homme dur et autoritaire, notable et maire du village de Croth. Suzanne, la mère du bienheureux, était affectueuse et tendre, et c’est elle qui a inculqué à ses enfants l’exemple de la charité.

Malheureusement, Suzanne est décédée l’année où Jacques-Désiré Laval fêtait ses 7 ans. À 14 ans, il est allé vivre chez l’abbé Laval, son oncle, curé à Tourville-la-Campagne. À 17 ans, Jacques-Désiré Laval entre au petit séminaire d’Évreux, mais il s’ennuie rapidement et souhaite rentrer chez lui. Son père, mécontent de son attitude, l’a affecté aux tâches les plus rudes à la ferme. Finalement, Jacques-Désiré Laval quitte le village pour reprendre ses études. Il étudiera les sciences et les lettres au Collège Stanislas, à Paris, avant d’embrasser la carrière médicale. Il suivra des cours à la Faculté de médecine de Paris et deviendra médecin au bout de cinq ans.

 Un médecin dévoué

Le natif de Croth retourne en Normandie et exercera en tant que médecin dévoué et charitable à Saint-André-de-l’Eure, puis à Ivry-la-Bataille pendant plus de cinq ans. Durant sa jeunesse, il délaissera quelque peu la religion. Mais lorsque les pauvres, qui n’ont pas les moyens de se soigner, lui demandent de l’aide, il basculera dans une vie pieuse.

Il se convertit et, en juin 1835, entre au séminaire de Saint-Sulpice à Paris, faisant de l’humilité la base de sa vie religieuse. Il sera ordonné prêtre dans la chapelle de Saint-Sulpice le 2 décembre 1838 par Monseigneur Hyacinthe de Quélen, archevêque de Paris.

 Le Père Laval sera curé d’une petite paroisse de 485 habitants du diocèse d’Évreux. Il consacrera le plus clair de son temps à la prière et vivra très pauvrement, distribuant tous ses revenus en aumônes. Il se dévouera à l’évangélisation des Noirs des colonies, récemment affranchis de l’esclavage. Il devient religieux dans la Congrégation du Saint-Cœur.

Le 4 juin 1841, depuis Londres, Jacques-Désiré Laval embarque à bord du ‘Tanjore’. Pendant le voyage, il sera si malade qu’on croyait qu’il ne survivrait pas. Le Père Laval ne reverra plus l’Europe.

 Il débarque à Maurice en 1841

 Après une traversée de 100 jours, le ‘Tanjore’ arrive dans la rade de Port-Louis le lundi 13 septembre 1841, vers 15 heures. Le Père Laval débarquera du ‘Tanjore’ le lendemain. Ses débuts ne sont pas des plus tendres ; il n’est pas respecté et on ne lui témoigne aucune sympathie. À cette époque, le clergé catholique est en perte de vitesse dans une île où l’administration britannique privilégie l’anglicisation. Quelques années plus tôt, en 1835, l’esclavage a été aboli : 66 000 esclaves sont devenus apprentis. Le travail de la terre est assuré par les immigrants indiens. Maurice compte alors quelque 140 000 habitants dont près du tiers habite Port-Louis. La tâche du Père Laval est d’évangéliser les classes les plus pauvres, les Noirs émancipés et les prisonniers.

Au début, le Père Laval habitait dans un petit pavillon en bois dans l’enceinte de la cure où il recevait les pauvres, tous des Noirs. Il ne remplissait aucune fonction à l’église et ne fréquentait pas les autres prêtres. Il travaillait surtout auprès des couples afin de les stabiliser dans le mariage et de veiller à ce qu’ils s’occupent bien de leurs enfants. Il vivait et travaillait seul et apprenait le créole, considéré comme la langue des esclaves.

 Il fait construire des chapelles

Le Père Laval instaure dès 1844-1845 une méthode missionnaire inédite ; il fonde dans la campagne de petites chapelles en bois, couvertes de paille et revêtues intérieurement de toiles. Des laïcs y réunissaient les Noirs pour la prière et le catéchisme. Ce sont de véritables communautés évangélisatrices. La première de ces chapelles, qui est devenue par la suite l’église du Saint-Cœur-Immaculé-de-Marie, a été aménagée dans une boulangerie à Petite-Rivière en 1845.

Les débuts de sa mission sont donc laborieux, d’autant plus que la population n’était pas bien disposée par rapport au catholicisme. Mais au bout de cinq ans, son travail porte ses fruits : 3 000 conversions. Cependant, le prêtre, esseulé et fatigué, souffrait. Il espérait que l’évangélisation progresse plus rapidement car la population noire s’élevait alors à environ 50 000 âmes. Port-Louis comptait environ 30 000 habitants qu’il fallait instruire, consoler, visiter et auxquels il fallait administrer les sacrements. La mission était gigantesque.

 En 1857, il est victime d’une attaque

En 1850, il sent déjà ses forces diminuer, rongé par le climat tropical et l’ampleur du travail. Sa mission se complique, car à cette époque, la variole et le choléra déferlent sur Maurice. Le nombre des décès est considérable : quelque 6 000 victimes, dont 3 500 à Port-Louis, rien qu’en 1854. Le Père Laval est en première ligne. Harassé, il est lui-même atteint d’une affection cutanée. En mai 1857, il est victime d’une attaque, puis d’un nouvel accident de santé plus grave en mai 1858. Usé, incapable d’assurer son ministère, il doit démissionner.

 La mort de Jacques-Désiré Laval

Dans la nuit du jeudi 8 septembre 1864, il est victime d’une double attaque d’apoplexie et d’hémiplégie. Une fois remis dans son lit, il refuse qu’un prêtre reste auprès de lui, préférant se placer sous la protection de Dieu et de la Sainte Vierge. Les médecins avaient peu d’espoir de le sauver. Le matin du 9 septembre, il reçoit le dernier sacrement. Il rend l’âme aux alentours de 13h40, en toute sérénité. Les Mauriciens de toutes communautés affluent immédiatement des quatre coins de l’île pour assister aux obsèques de l’apôtre des miséreux. Des milliers de personnes participent à la procession. Depuis, chaque année, le pèlerinage au tombeau du Père Laval réunit les Mauriciens sur les routes.

 Sa béatification

 Jacques-Désiré Laval a été béatifié par le pape Jean-Paul II, le dimanche 29 avril 1979, en la basilique Saint-Pierre de Rome. Cela a été la première béatification de Jean-Paul II, qui avait placé son pontificat sous la protection de cet humble missionnaire. Le pape avait alors invité les chrétiens du monde entier à le prendre pour modèle : « Que l’exemple du Père Laval encourage tous ceux qui, sur le continent africain et ailleurs, s’efforcent de bâtir un monde fraternel, exempt de préjugés raciaux ! »

Le 19 mai 1979, quelque 150 000 personnes assistèrent à la cérémonie d’action de grâce au monument de Marie Reine de la Paix, à Port-Louis, durant laquelle fut souvent évoqué le nom de Jacques-Désiré Laval.

Le 14 octobre 1989, à l’invitation du Premier ministre de l’époque, Sir Anerood Jugnauth, Jean-Paul II arriva à Maurice pour une visite officielle de trois jours et se rendit au tombeau du Père Laval, ce modeste curé qui avait consacré sa vie aux plus pauvres, à Sainte-Croix, où il affirma : « Je viens moi-même vénérer le tombeau du bienheureux Laval que vous aimez tant à l’île Maurice. »

 L’apôtre des Mauriciens

 Certains historiens ont émis la thèse qu’en propageant la religion catholique auprès des affranchis, le père Laval n’a fait qu’atténuer l’animosité qui régnait à l’époque entre les colons et leurs anciens esclaves, empêchant de cette manière, une révolte qui aurait peut-être permis aux esclaves d’obtenir leurs droits légitimes et de se faire une meilleure place dans la société. Ils oublient toutefois que le prêtre s’est heurté dès le départ à l’animosité des Blancs, et qu’il n’aura gagné leur confiance qu’après s’être dévoué corps et âme à soulager les maux d’une île ravagée par un terrible mal. Et c’est sans compter sur les milliers de Mauriciens de toutes religions et de toutes origines qui se réunissent chaque année auprès de son tombeau.

Plus qu’une simple figure religieuse, le père Laval aura été, de par sa bonté et son dévouement, un exemple pour la société mauricienne. Si les divisions se font encore sentir parmi la population, elles ont été grandement atténuées par cet homme. Au-delà des miracles qu’on lui impute, de sa béatification ou encore de sa probable future sanctification, c’est son amour pour son prochain, son ouverture aux autres quels qu’ils soient, qui auront marqué la petite île. En traitant les affranchis comme ses semblables, chose impensable dans la société coloniale de l’époque, il leur a rendu leur dignité, leur humanité, et aura pavé la route à une île Maurice plus juste et plus équitable.

 

 

 

 

Posted by on Sep 9 2024. Filed under Actualités, En Direct, Featured, Opinion. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0. You can leave a response or trackback to this entry

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