Meurtre de Gérald Lagesse en 2005, Condamné à 40 ans de prison en 2015: le Privy Council ordonne un nouveau procès contre Jiawed Ruhumatally
Dix-neuf ans après le braquage de la Mauritius Commercial Bank (MCB) au siège de Port-Louis ayant conduit à la mort du Customer Service Supervisor, Gérald Lagesse et plus de huit ans après sa condamnation à une peine d’emprisonnement de 40 ans par la Cour d’assises, Jiawed Ruhumatally aura droit à un nouveau procès sous une accusation réduite. Telle est la décision du Privy Council dans un jugement rendu ce mercredi 18 juin.
En effet, dans un verdict de 26 pages, les Lords britanniques ont déclaré nul le procès en première instance condamnant le suspect à 40 ans de prison en raison de graves irrégularités lors des travaux aux assises. Selon eux, le suspect n’a pas bénéficié d’un procès équitable de la part du jury qui, selon eux, a été influencé dans leur décision par la manière dont feu juge Prithviraj Fekhna avait présidé l’affaire.
En 2005, Mohamad Jiawed Ruhumatally, âgé de 44 ans, contestait la peine de 40 ans de prison qui lui avait été infligée en appel devant la Cour suprême pour l’assassinat de Gérald Lagesse, survenu le 11 février 2005. Le crime avait été commis pendant un braquage au siège de la Mauritius Commercial Bank (MCB) à Port-Louis où une somme de Rs 51,8 millions avait été emportée. Ce jour-là, Gérald Lagesse, ancien Customer Care Supervisor de la banque, a été retrouvé mort, ligoté et bâillonné, dans la salle des coffres. L’autopsie a conclu à une mort par asphyxie.
Trois suspects avaient été arrêtés dans le cadre de cette affaire, notamment Steve Monvoisin, Laval Sambacaille et Jiawed Ruhumatally. Les deux premiers avaient été inculpés d’homicide involontaire. Ils ont bénéficié d’un procès séparé et avaient plaidé coupable. Ils ont écopé de 16 ans de prison chacun en avril 2012.
Jiawed Ruhumatally avait quant à lui été provisoirement inculpé de meurtre et placé en détention. Il a été libéré sous caution après que cette charge a été annulée et transformée en accusation provisoire d’homicide involontaire. Cependant, en janvier 2014, une nouvelle accusation de meurtre a été portée contre lui uniquement. Traduit aux assises, Ruhumatally avait plaidé non coupable de l’assassinat de Gérald Lagesse. Il avait alors été condamné à 42 ans de prison le 14 décembre 2015. Une peine qui a toutefois été réduite à 40 ans en appel devant la Cour suprême. Insatisfait du verdict, il a fait appel au Conseil privé du Roi.
Plaidoiries
L’appel de Ruhumatally a été entendu le 24 janvier dernier. Il était défendu par Mes Zaredhin Jaunbaccus et Iqbal Dauhoo. Le Directeur des poursuites publiques (DPP), Me Rashid Ahmine, avait fait le déplacement personnellement à Londres pour les plaidoiries. Il avait souligné lors de la séance que même si la participation du suspect dans le crime pouvait sembler minime, elle satisfaisait néanmoins à l’élément du meurtre. Il avait également affirmé que les accusés avaient délibérément choisi d’utiliser la violence lors du cambriolage, étayant son argument en soulignant l’absence de masques ou de gants, suggérant que leurs identités étaient connues.
Pour leur part, dans leurs plaidoiries, les avocats de Ruhumatally, Mes James Prusram Ramdhun et Zaredhin Jaunbaccus, avaient insisté sur le fait que leur client n’avait pas l’intention de provoquer la mort de la victime. À cet effet, ils estiment que l’utilisation d’une chemise et de papier pour bâillonner la victime ne prouvait pas une intention d’homicide, en soulignant que le plan initial de leur client et de ses complices était de cambrioler la banque, et non de commettre un meurtre.
En conclusion, le DPP avait argué que le Conseil privé pourrait demander à la Cour suprême de juger à nouveau le prévenu. Toutefois, la tenue d’un nouveau procès impliquait d’établir qu’il y avait eu une irrégularité lors de l’affaire en première instance.
Nouveau procès
Dans leurs jugements rendus ce mercredi 18 juin, le condamné a obtenu la tenue d’un nouveau procès dans cette affaire. Les Lords ont ordonné que le condamné soit rejugé sous une accusation réduite de “manslaughter” en raison de graves irrégularités décelées dans le procès initial. Dans leur décision, David Lloyd-Jones, Nicholas Archibald Hamblen, Ben Stephens, Sir Timothy Holroyde et Lady Ingrid Ann Simler ont déclaré le procès en Cour suprême nul, relevant plusieurs erreurs majeures dans les instructions du défunt juge au jury.
Ils ont constaté que Ruhumatally avait nié toute intention de tuer, et donc toute préméditation. « Il était donc particulièrement important que le juge soit précis lorsqu’il rappelait au jury les preuves de ce que l’appelant a fait à M. Lagesse. Malheureusement, en tout respect pour le juge, il a commis une erreur à cet égard », écrivent les Law Lords. De plus, ils notent une erreur grave dans une question centrale sur la mort de Gérald Lagesse.
Le jury, selon eux, aurait pu déduire que l’appelant avait attaché une chemise autour de la bouche de la victime pour renforcer le bâillon et réduire sa capacité à l’enlever. « Cependant, s’il y avait eu des preuves que l’appelant avait attaché la chemise pour empêcher la respiration par le nez, cela aurait été important pour déterminer s’il avait l’intention de tuer et si le meurtre était prémédité. Inversement, le fait que la chemise ait été attachée en laissant le nez dégagé soutenait la thèse de la défense que le meurtre n’était pas intentionnel. Le juge n’a pas corrigé son erreur dans son résumé au jury, ne leur demandant pas d’ignorer l’idée que la chemise couvrait le nez et la bouche », déclarent les Law Lords.
Le Privy Council conclut que le juge a omis de poser au jury une question sur laquelle il était seul à pouvoir décider. « Le juge a commis une autre erreur dans son résumé. Pour condamner l’appelant pour meurtre, le jury devait être certain que ce dernier avait l’intention de tuer M. Lagesse et que le meurtre était prémédité. Bien que le vol ait été planifié, il n’y avait aucune preuve de préméditation du meurtre avant l’entrée dans la salle des coffres. Les déclarations de l’appelant indiquaient que personne ne devait être gravement blessé. Le juge a correctement indiqué que la préméditation nécessitait une réflexion calme. Malheureusement, il a mal interprété les preuves en résumant les événements de la salle des coffres », soulignent les Law Lords.
Pour le Privy Council, la cour d’appel de Maurice aurait dû conclure que la combinaison de ces erreurs, toutes portant sur des questions de première importance, rendait impossible de maintenir la condamnation. Elle aurait dû constater que cette combinaison d’erreurs constituait une irrégularité grave et avait entraîné une grave erreur judiciaire. Elle aurait dû exercer son pouvoir pour déclarer le procès nul et ordonner un nouveau procès.